3 QUESTIONS À... : JUILLET 2008







3 questions à... Michel Grignon (chercheur associé à l'Irdes - Université McMaster à Hamilton (Ontario Canada))

1/ Les actes du forum franco-québécois sur « Maîtrise des dépenses de santé ou qualité : faut-il choisir ? » qui s'est tenu en mars 2007 vont paraître cet été. A cette occasion, vous avez interpellé les ministres, pouvez-vous nous rappeler la teneur de vos propos ?

L'économiste simplifie et décrit le système de santé comme une machine transformant des ressources (la dépense) en santé de la population (la qualité). Faire fonctionner cette machine suppose de résoudre trois questions : obtenir le plus de qualité pour un niveau de dépense donné, décider du niveau de qualité en santé qu'on veut atteindre socialement, et préparer les innovations technologiques affectant la machine. Mes « interpellations » visaient à faire préciser aux politiques leur vision sur chacune de ces questions : comment organiser des trajectoires de soins pour réduire les gâchis ? Par la responsabilisation du patient, par l'imposition d'une norme centrale ou en incitant les professionnels eux-mêmes à déterminer les trajectoires optimales ? Quelle logique préside aux décisions sur le montant de la dépense prise en charge collectivement et ce qui est laissé à la responsabilité individuelle ? Enfin, quels sont les plans pour adapter les systèmes de soins à l'évolution technologique à venir ?

2/ Vous êtes actuellement chercheur-enseignant à l'université canadienne Mc Master à Hamilton, quel regard portez-vous sur les réformes en cours en France, en particulier sur les franchises et la toute récente proposition de diminuer le remboursement de certains soins des patients en ALD (Affection de longue durée) ?

Sur le principe, une franchise peut être un moyen de « responsabilisation » du patient, une façon de répondre aux questions ci-dessus par un mécanisme très décentralisé (en gros, le marché). Mais pour cela, il faut qu'elle soit d'un montant très élevé : le patient prend alors des décisions et n'est couvert que pour une dépense dite catastrophique. Les franchises basses introduites en France n'auront pas d'impact sur les trajectoires de soins : la dépense restera vraisemblablement la même, mais son financement sera réparti différemment, un peu comme une « TVA sociale ». Remplacer la gratuité en ALD par un bouclier sanitaire aurait en revanche un impact sur la quantité de soins consommée et semble de ce point de vue plus logique. Pour autant, je préfère la logique canadienne consistant à bannir tout ticket modérateur ou dépassement et à confier l'organisation des trajectoires optimales de soins aux professionnels de santé eux-mêmes (aidés par des incitations ou des contraintes fortes émanant du politique).

3/ Pour illustrer comment on peut concilier qualité et coût, vous donnez l'exemple d'une HMO américaine, Kaiser. Quelle est leur solution ?

Kaiser est un exemple intéressant, à la fois réussite et illustration des difficultés à passer du modèle simple de l'analyste à la mise en œuvre par le politique. L'idée de Kaiser est simple : une journée d'hôpital est chère et il faut s'assurer que les patients ne restent pas hospitalisés au-delà du temps optimal (quand le coût excède le gain en amélioration de la santé). Pour cela, Kaiser a embauché des infirmières pour aller dans les hôpitaux et évaluer la pertinence du séjour des assurés de la HMO. Avec l'argent ainsi économisé, Kaiser met à disposition de ses assurés plus de services de spécialistes : c'est donc une trajectoire optimisée, échangeant du séjour hospitalier peu utile contre du diagnostic spécialisé très utile. Il est intéressant de voir que cette optimisation est à la fois très simple techniquement (pas de dossier médical électronique par exemple) et très difficile à appliquer hors de la Californie (et, semble-t-il, des zones à fort taux de syndicalisation des salariés) : Kaiser, qui est dominant dans ces zones, n'a jamais percé ailleurs aux Etats-Unis. Il semble donc qu'une technique aussi simple que celle-ci ne s'applique efficacement que si le contexte, lié aux patients et aux médecins de la HMO, s'y prête.

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