3 QUESTIONS À... : OCTOBRE 2007







3 questions à... Michel Grignon (chercheur associé, Université McMaster, Canada) et Thomas Renaud (chargé de recherche et statisticien, Irdes) à propos d'un récent article intitulé « Moral hazard, doctors and absenteism in France » publié dans la RESP, qui remet en cause la thèse selon laquelle les salariés utilisent les arrêts maladie, en accord avec les médecins, de manière frauduleuse ou indue.

1/ Dans un récent article intitulé « Moral hazard, doctors and absenteism in France » publié dans la RESP, vous contestez la thèse selon laquelle les salariés utilisent les arrêts maladies, en accord avec les médecins, de manière frauduleuse ou indue.

Rappelons tout d'abord quelques éléments de contexte. La fin des années quatre-vingt-dix, précisément la période 1997-2002, a été marquée par une augmentation très importante du nombre de journées d'arrêt de travail indemnisées (+34 %, pour une dépense qui culminait à 7,5 milliards d'euros pour le régime général en 2003). L'Igas (Inspection générale des affaires sociales) et la Cour des comptes se sont penchées sur le problème et l'Assurance maladie a mis en place une politique plus volontariste pour enrayer cette augmentation. Une des principales pistes de réflexion développées a été la justification médicale de ces arrêts maladie. L'hypothèse sous-jacente – clairement exprimée dans le rapport de l'Igas comme un des causes principales de l'augmentation des indemnités journalières avant 2000 - est celle de comportements « opportunistes » de la part des assurés les conduisant à se faire prescrire des arrêts de travail ou des prolongations d'arrêt qui ne sont pas totalement justifiés cliniquement, et ce avec l'accord implicite de leur médecin.

Nous ne remettons pas en cause l'existence des fraudes mais cette explication nous semblait réductrice et marginale parmi l'ensemble des facteurs explicatifs de la prise d'arrêts de travail. En tout état de cause, ce ne sont pas les variations dans les comportements frauduleux qui peuvent expliquer les variations des volumes d'arrêts de travail, et notamment la forte augmentation des indemnités journalières à la fin des années 90.

Nous voulions donc tester la validité de cette hypothèse en France, en contrôlant par ailleurs les facteurs de confusion économiques et médicaux. Notre travail ne permet ni de confirmer ni d'infirmer réellement l'existence de tels comportements opportunistes de la part des assurés. Nous mettons même en évidence une corrélation négative entre le nombre de journées en arrêt de travail et le taux de chômage en France sur les trente-cinq dernières années (ce qui corrobore les enseignements de la littérature économique qui fait de l'absentéisme un phénomène « procyclique »). Cette constatation peut suggérer l'existence de comportements rationnels de la part des salariés qui, en période de moindre chômage, craignent moins d'être licenciés ou pénalisés (dans leur salaire ou leur promotion) et peuvent ainsi utiliser davantage les arrêts de travail comme facteur d'ajustement dans leur arbitrage travail/loisir : d'où un risque réel d'arrêts frauduleux ou indus.

En revanche, il est exact que nos résultats vont à l'encontre de l'idée de fraude facilitée par les médecins. Le rôle des médecins dans le processus de prise d'arrêt de travail semble minime. En tout cas au niveau départemental, la densité de médecins installés n'est pas corrélée aux volumes d'indemnités journalières. Surtout, notre étude fait émerger des déterminants beaucoup plus fondamentaux comme la vitalité économique du département où la structure d'âge de la population active. En effet, toutes choses égales par ailleurs, le recours aux arrêts de travail est plus massif dans les départements ayant le plus faible PIB par tête et une plus grande proportion de salariés âgés de plus de 40 ans.

2/ Quelles sont les méthodes que vous avez employées pour cela et sur quelles données vous êtes-vous appuyés ?

Nous avons mobilisé la base de données Eco-Santé (www.ecosante.fr) qui nous a permis de mener une comparaison départementale et une analyse rétrospective en France entière sur les 35 dernières années.

Pour tester la réalité d'une influence des médecins sur le niveau de recours aux arrêts maladie, nous avons réalisé un test assez simple, mais robuste, qui est classiquement utilisé pour éprouver l'existence de demande induite : mesurer la corrélation entre le niveau d'arrêts maladie au niveau départemental et la densité de médecins généralistes dans le département. Plus précisément, nous avons modélisé le nombre de jours d'arrêt de travail indemnisés dans le département en 2003 en introduisant 5 covariables : la densité de médecins généralistes donc, le PIB par tête, le taux de mortalité, le taux de chômage et la part de 40-59 ans parmi les actifs occupés.

Pour mesurer la sensibilité de nos résultats, différents modèles emboîtés ont été réalisés, en différenciant les risques indemnisés (arrêt maladie versus accident du travail/maladie professionnelle) puis en distinguant les arrêts de court terme (moins de six jours) qui sont très spécifiques.

3/ Quels types de suggestions pourriez vous faire aux politiques afin de mieux contrôler la croissance des arrêts de travail ?

Il nous semble que les pistes d'explication les plus prometteuses sont plutôt à chercher du côté de l'offre de travail, à la fois via des effets structurels de composition de la population active et des déterminants individuels des besoins d'arrêts maladies, notamment les conditions de travail des salariés. En effet, plusieurs hypothèses liées à l'organisation du marché du travail peuvent être avancées pour expliquer les variations importantes des volumes d'IJ, et notamment leur corrélation négative avec le taux de chômage :

  • D'une part, il y a certainement des effets de composition de la population active selon les cycles de croissance économique et le taux de chômage qui se répercutent sur les cycles de prise d'arrêts maladie. On a notamment constaté que les volumes d'IJ étaient nettement plus élevés dans les départements où la population salariée est âgée. La théorie économique propose notamment l'explication suivante : lorsque le chômage baisse on embauche davantage de salariés peu « employables » (en mauvaise santé et/ou âgés) mais lorsque le chômage augmente ce sont les premiers à être licenciés.
  • D'autre part, les conditions de travail des salariés peuvent également influer, notamment à travers l'intensification du travail et l'augmentation de la pénibilité (physique et psychologique) qui peut survenir plus massivement dans les périodes où le taux de chômage diminue.

Il est délicat de faire des suggestions pour pallier ces problèmes.

Sur le premier point, si la santé et l'âge des salariés n'étaient pas utilisés comme critères implicites d'embauche et de licenciement, il y aurait moins de répercussions des cycles économiques sur les volumes d'IJ. Il y a donc un travail de sensibilisation à faire et des mécanismes de protection à maintenir.

Pour le second point, on peut penser à des mesures incitatives pour les employeurs afin de développer la prévention des risques de leurs employés, voire des expériences qui introduiraient un cofinancement de la part des entreprises avec l'idée d'un partage des risques : les entreprises qui ont de nombreux salariés arrêtés pour maladie contribueraient davantage à leur indemnisation (sur le modèle de ce qui existe déjà pour les accidents du travail et les maladies professionnelles où les entreprises cotisent selon leur niveau de sinistralité). Evidemment, une telle expérience est discutable car elle postule une part de responsabilité directe de l'employeur sur l'état de santé du salarié.

Ce sont autant de pistes de recherche pour l'avenir. D'une façon générale, si l'état des lieux sur le sujet est maintenant très complet, la recherche académique s'est peu emparée de cette problématique et nous faisons face à un manque de connaissance des mécanismes qui déterminent les arrêts de travail dans le contexte français.

Ce thème devrait d'ailleurs devenir un axe de recherche majeur à l'Irdes dans les prochaines années.

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