3 QUESTIONS À...


1/ Quelles sont les principales caractéristiques de la prise en charge des personnes souffrant de dépression en France ?

Selon l'Enquête santé européenne (EHIS-ESPS), la prévalence estimée de la dépression en France est de 7 %, soit près de 4 millions de personnes. La prise en charge de la dépression se caractérise par deux principaux éléments : d'une part, une proportion importante - même si elle diminue - de patients souffrant de symptômes dépressifs qui ne recourent pas aux soins ; d'autre part, une place prépondérante du médecin généraliste dans la prise en charge de ces troubles fréquents.

D'après l'Enquête européenne sur la santé mentale (European Study of the Epidemiology of Mental Disorders-ESEMED), c'est en France que le médecin généraliste adresse le moins souvent ses patients vers un professionnel spécialisé, 22 %, comparativement à l'Allemagne (25 %), la Belgique (30 %), l'Espagne (40 %), l'Italie (50 %) et les Pays-Bas (55 %). Parallèlement, la proportion de patients avec un traitement médicamenteux prescrit par un généraliste est parmi les plus élevées (63 %) en Europe.

La prise en charge en ville est marquée également par une faible proportion de traitements jugés adéquats, ceux-ci ne respectant pas les durées minimum de six mois recommandées pour un traitement antidépresseur ou une psychothérapie.

Plusieurs facteurs contribuent à expliquer ces dysfonctionnements : la stigmatisation associée aux maladies mentales, les difficultés d'observance, le manque de formation des professionnels et la difficulté à accéder à un avis spécialisé rapide. Citons également l'absence de remboursement des consultations avec un psychologue ou un psychothérapeute non médecin, les délais pour obtenir un rendez-vous auprès des psychiatres ou encore la réticence des patients ou des professionnels à s'adresser au dispositif spécialisé en psychiatrie.

2/ Comment votre étude complète-t-elle les connaissances sur cette prise en charge ?

Si la prise en charge de la dépression en ville est relativement bien documentée, rares sont les études ayant cherché à analyser la prise en charge hospitalière. Notre étude cherche à pallier ce manque. Selon les recommandations, l'hospitalisation est réservée aux formes sévères de dépression, aux situations de risque suicidaire élevé, ou en raison d'un contexte social particulier. En 2012-2013, 200 000 primo-hospitalisations pour un épisode dépressif ont été recensées dans les établissements de santé, soit 100 000 par an.

Les primo-hospitalisations recouvrant des situations très disparates, nous avons dans un premier temps décrit ces épisodes hospitaliers à travers une typologie en 9 classes, à partir d'informations concernant les caractéristiques de l'individu (âge, existence de comorbidités psychiatriques, somatiques ou d'une tentative de suicide et sévérité de l'épisode dépressif…) et de son hospitalisation (nature du service hospitalier, durée de séjour, type d'établissement d'accueil - public ou privé, mono ou pluridisciplinaire -, le mode légal et le mode d'entrée).

Notre analyse porte ensuite sur les contacts avec les médecins généralistes, le dispositif ambulatoire spécialisé (psychiatres libéraux, centres médico-psychologiques (CMP)) et les délivrances médicamenteuses en amont de cet épisode hospitalier. En dernier lieu, le lien entre ces hospitalisations et le type de recours en ambulatoire d'amont est étudié afin de mieux qualifier ces épisodes hospitaliers et les repositionner dans le parcours de soins des individus.

3/ Quels en sont les principaux résultats ?

Nos résultats montrent que 1 primo-hospitalisé sur 10 n'avait pas eu de suivi en ambulatoire les six mois précédant cet épisode hospitalier. Pour 6 primo-hospitalisés sur 10, le médecin généraliste a été le seul médecin consulté, quel que soit le motif de consultation. Un psychiatre a été consulté par 3 patients hospitalisés sur 10 et plus de la moitié des patients a eu une délivrance d'antidépresseurs en amont de l'hospitalisation.

La typologie met en évidence une grande hétérogénéité des types d'hospitalisation pour dépression et le fait qu'elles sont plus souvent réalisées dans un service de médecine qu'en psychiatrie, avec une admission fréquente par les urgences. Ceci suggère un lien entre le parcours de soins en amont de l'hospitalisation et le caractère programmé ou non de cette dernière. Ces hospitalisations « non programmées » semblent survenir plus fréquemment lorsque le patient n'est pris en charge par aucun praticien ambulatoire (médecin généraliste et psychiatre) mais aussi lorsque la prise en charge n'implique pas les psychiatres. L'intervention d'un professionnel spécialisé dans la prise en charge semble impacter le type d'hospitalisation ainsi que le traitement médicamenteux délivré à la personne.

Ces parcours sont également associés à certaines caractéristiques individuelles des patients : les jeunes et les bénéficiaires de la CMU se retrouvent plus fréquemment dans les profils de moindre recours spécialisé en amont et d'hospitalisations non programmées.

Les résultats de cette étude confirment l'importance de la coordination entre médecins généralistes et psychiatres pour améliorer la prise en charge des troubles psychiques.

Propos recueillis par Anna Marek