3 QUESTIONS À...


1/ Quelle est la nature des inégalités de santé dont sont victimes les personnes vivant avec un trouble psychique que vous observez dans cette étude ?

Notre étude montre que les femmes et les hommes suivis pour des troubles psychiques vivent en moyenne 13 et 16 ans de moins que la population générale. Cet écart considérable ne s'explique pas seulement par la part importante de décès par suicide. Les morts violentes, suicides, accidents de transport et chutes ne représentent en réalité que la troisième cause de décès chez ces individus, derrière les cancers et les maladies cardiovasculaires. Les personnes suivies pour des troubles psychiques présentent des taux de mortalité 2 à 5 fois supérieurs à la population française quelle que soit la cause de décès considérée (maladies cardiovasculaires, maladies du système digestif ou respiratoire, tumeurs...). La surmortalité des personnes vivant avec un trouble psychique a longtemps été sous-estimée, du fait du caractère non directement létal des maladies mentales. Si cette surmortalité des personnes avec des troubles mentaux sévères, comparativement à la population générale, a été largement documentée à l'étranger, les études françaises de grande ampleur restent à ce jour limitées. La récente mise à disposition de données relatives aux causes médicales de décès pouvant être appariées aux données de consommation de soins dans le Système national des données de santé (SNDS) nous permet d'objectiver cette surmortalité à l'échelle nationale. Cet écart d'espérance de vie questionne le repérage et l'accès aux soins somatiques de ces personnes et l'efficacité du système de santé à agir pour réduire ces inégalités…

2/ Quelles en sont les causes ?

La littérature met en avant plusieurs facteurs qui pourraient expliquer ces inégalités de santé. Tout d'abord, la présence accrue de facteurs de risque d'un mauvais état de santé général tels que des conditions socio-économiques défavorables ou des facteurs d'ordre comportemental (forte consommation de tabac, conduites addictives, régime alimentaire déséquilibré, grande sédentarité ou moindre observance aux traitements). Le repli sur soi et l'isolement social vont également constituer des obstacles à des soins médicaux appropriés.
Les effets secondaires des médicaments psychotropes pourraient également jouer un rôle non négligeable, surtout sur le long terme. Enfin, des facteurs liés au système de santé sont probablement impliqués, tels qu'un moindre accès à la prévention, aux soins et au dépistage et une qualité des soins somatiques non optimale pour les personnes suivies pour des troubles psychiques. La stigmatisation associée aux maladies mentales va notamment impacter le dépistage et le recours aux soins. Ces populations déclarent moins souvent un médecin traitant, et la coordination entre les médecins généralistes et les psychiatres est souvent pointée comme difficile en France.

3/ Comment envisagez-vous d'enrichir ces premiers résultats ?

Ces premières données françaises offrent, à l'heure actuelle, les résultats les plus exhaustifs possibles sur la mortalité des personnes avec des troubles psychiques à l'échelle nationale et objectivent les inégalités de santé dont elles sont victimes. Néanmoins, les hypothèses sur leurs causes nécessitent d'être confirmées. Cette étude représente une étape préliminaire - mais indispensable - au développement de travaux de recherche complémentaires permettant d'évaluer l'impact des prises en charge des personnes suivies pour des troubles psychiques sur leur mortalité. Ainsi, des données individuelles sur les parcours, consommations et ruptures de soins des personnes suivies pour des troubles psychiques devront maintenant être mises en regard de leurs causes de décès dans des études longitudinales au long cours considérant de nombreux facteurs d'ajustement à la fois individuels et contextuels.

Propos recueillis par Anne Evans