3 QUESTIONS À...


1/ Pourquoi centrer votre enquête sur ces trois groupes de métiers du soin à domicile : les aides à domicile, aides-soignantes et infirmières ?

Notre système de santé fait face à des enjeux importants, notamment le vieillissement de la population et une chronicisation des pathologies. Ces enjeux, associés à une tension démographique sur certaines professions de santé, peuvent s'accompagner de modifications des missions et des frontières professionnelles. A un moment où les pouvoirs publics encouragent un virage ambulatoire et enjoignent les professionnels à mieux se coordonner, voire à développer des délégations de tâches, il est particulièrement intéressant d'étudier de manière approfondie le travail et les dynamiques de coopération entre des groupes professionnels intervenant au domicile, d'autant que les aides à domicile, aides-soignantes et infirmières sont rarement mises sur le devant de la scène. Notre étude contribue à mettre en lumière l'organisation de leur travail, qui s'avère très dépendante des organisations auxquelles elles appartiennent (Cabinet libéral, Maison de santé-MSP, Centre de soins infirmiers, Centre municipal de santé, Service de soins infirmiers à domicile-Ssiad, Association d'Aide à domicile en milieu rural…) et de leurs configurations, variables selon les territoires. Le principal effet est que les frontières entre les différentes tâches qu'effectuent ces trois groupes professionnels sont bien plus floues qu'on ne pourrait le penser. A titre d'exemple, si les toilettes sont généralement effectuées par les aides-soignantes, il arrive que des aides à domicile ou des infirmières les assurent.

2/ Quelles sont leurs particularités au regard de l'histoire et de la sociologie des professions de santé ?

Ces trois groupes ont la particularité d'avoir une histoire marquée par une quête continue de professionnalisation, de reconnaissance politique et publique, et, pour les infirmières, de légitimité vis-à-vis de la médecine. Cela permet de comprendre ce qui se joue dans les rapports entre ces professionnelles, les organisations auxquelles elles appartiennent et les pouvoirs publics, mais aussi de saisir les rapports qu'entretiennent les groupes professionnels entre eux. Par ailleurs, il est intéressant de mettre en perspective l'histoire de ces groupes professionnels avec les différentes dynamiques professionnelles actuelles, qui sont d'ailleurs parfois conflictuelles au sein d'un même groupe. En saisissant les transformations du monde du travail de manière dynamique et en étudiant les groupes en interaction, dans des territoires différents, l'approche sociologique met en évidence le rôle joué par les statuts sociaux de ces groupes professionnels, par leurs niveaux de rémunération différents, et par les hiérarchies symboliques qui existent entre les différentes tâches, techniques ou relationnelles. Ainsi, par exemple, les aides à domicile sont souvent appréhendées comme des prestataires de service, non seulement par les infirmières et les aides-soignantes, qui leur demandent de s'adapter à leur emploi du temps, mais aussi par les patients. Et la méconnaissance réciproque du travail des autres groupes professionnels joue également un rôle, certaines infirmières libérales assimilant parfois les services de soins infirmiers à domicile, qui emploient des aides-soignantes, à des services d'aide à domicile.

3/ Quels principaux freins au développement de la coopération interprofessionnelle avez-vous observés, et quelles perspectives se dégagent ?  

S'il existe des organisations, comme des fédérations d'associations intervenant à domicile, dont l'histoire longue a permis le développement d'un exercice coordonné et de coopérations interprofessionnelles, les professionnelles interrogées témoignent davantage de l'isolement qu'elles ressentent et qu'elles vivent. Parmi les freins à la coopération entre elles, la structuration de l'offre de soins, très variable d'un territoire à l'autre, sous-tend en grande partie le contenu et l'organisation de leur travail, ainsi que les rapports entre les professionnelles elles-mêmes. Ensuite, les modes de financement actuels ne favorisent ni les coopérations entre les professionnelles ni celles entre les organisations, voire les mettent en concurrence. Enfin, les dynamiques de professionnalisation de chaque groupe se font au détriment du développement de pratiques coopératives. Ainsi, de manière générale, il n'existe quasiment pas de culture professionnelle commune aux différents groupes, résultat aussi… de leur histoire respective. Malgré ces difficultés souvent enchevêtrées, certaines professionnelles parviennent à se coordonner, notamment lorsqu'elles y sont aidées par un travail d'intégration des services où elles exercent. Ce travail peut reposer sur une gouvernance particulière, sur une approche populationnelle, mais aussi sur des dispositifs qui contribuent à la construction d'une culture commune, comme les formations pluriprofessionnelles, les réunions plurisectorielles, ou l'intervention de professionnelles « passeuses » entre plusieurs mondes. Ces expériences concrètes étant portées par des acteurs locaux engagés, on peut se demander si les évolutions organisationnelles et réglementaires, en cours ou à venir, permettront de faciliter le développement de ces coopérations à plus grande échelle.