3 questions à... Laure Com-Ruelle (directrice de recherche, Irdes) et responsable du projet « Les problèmes d'alcool en France : quelles sont les populations à risque ? » |
La consommation d'alcool en France diminue régulièrement depuis plusieurs décennies. Selon l'Insee, la part des dépenses en boissons alcoolisées dans le budget alimentaire des ménages est passée de 12,4 % en 1960 à 8,9 % en 2002. Si l'on se réfère aux données de vente de boissons alcoolisées, la consommation moyenne d'alcool pur par habitant de 15 ans ou plus est passée de 26 litres en 1961 à 12,9 litres en 2006.
Bien que rassurantes, ces informations ne sont pas suffisamment pertinentes pour juger de l'évolution de la consommation excessive d'alcool, chronique ou ponctuelle et, qui plus est, de leur impact sur le plan médical et social. Il se peut même que la prévalence des comportements à risque soit stagnante voire croissante. Les informations sur cette problématique manquent. Toutefois, on sait qu'aujourd'hui l'alcool a un impact considérable sur la santé publique en France. L'imprégnation éthylique chronique est à l'origine de 14 % des décès masculins (1 homme sur 7) et de 3 % des décès féminins, ce qui en fait la deuxième cause de mortalité évitable. À l'échelle européenne, la France connaît toujours la plus forte surmortalité masculine liée à l'alcool, de 30 % supérieure à la moyenne européenne.
Il s'agit donc, outre de poursuivre la réduction de consommation moyenne annuelle d'alcool par habitant, de réduire la prévalence de l'usage à risque ou nocif de l'alcool et de prévenir la dépendance, ce qui est prévu dans la loi de santé publique du 9 août 2004.
Ceci nécessite de mieux connaître l'importance de la consommation excessive d'alcool et d'identifier les populations à risque. L'introduction du test Audit-C dans les dernières enquêtes « Santé » en population générale permet de tenir compte à la fois des fréquences de consommation et des volumes afin de distinguer les populations sans risque (consommation nulle ou modérée) des populations à risque (consommation excessive ponctuelle ou chronique). C'est à partir d'une de ces enquêtes, l'Enquête santé et protection sociale (ESPS) menée par l'Irdes en 2002 et 2004, que nous présentons des résultats reposant sur ce test validé et les seuils de consommation à risque préconisés par l'OMS, permettant de mieux cerner les différents modes de consommation d'alcool et les facteurs socio-économiques qui y sont associés.
Tout d'abord, commençons par les points positifs : d'après leurs déclarations, près de 6 hommes sur 10 et 9 femmes sur 10 n'ont pas de problèmes avec l'alcool. Plus précisément, 4 hommes et 5 femmes sur 10 ont une consommation modérée, autrement dit sans risque. Rappelons que certaines études montrent qu'une telle consommation peut être associée à une amélioration du bien-être, voire représenter un facteur protecteur sur le plan cardio-vasculaire (voir les expertises collectives Inserm).
Ceci dit, il reste des tranches de population plus ou moins fortement touchées par les problèmes d'alcool. Ainsi, 30 % des hommes sont des consommateurs à risque ponctuel (45 % entre 25 et 34 ans) et 13 % sont à risque chronique (19 % entre 55 et 64 ans). Chez les femmes, avant 45 ans, près de 20 % présentent un risque, même s'il est le plus souvent ponctuel. Si l'on regarde les liens avec les caractéristiques socio-économiques, on s'aperçoit qu'ils sont contrastés : chez les hommes, l'alcoolisation excessive touche d'un côté ceux appartenant aux classes les plus aisées tels les hommes cadres, mais surtout ceux appartenant aux classes moins aisées : hommes vivant au sein de ménages à bas revenus ou ayant connu des épisodes de précarité ; chez les femmes, seules celles qui ont un statut de cadre sont concernées. Autre résultat important : si la famille protège du risque d'alcoolisation excessive, celui-ci est toutefois augmenté si, sous son toit, l'on côtoie une personne ayant une consommation excessive.
Evidemment, fondés sur des données déclaratives, ces résultats d'enquête sont vraisemblablement sous-estimés. L'important est de savoir s'ils permettent de repérer les facteurs sociodémographiques liés aux problèmes d'alcool dans notre société. S'il est probable que la plupart des consommateurs d'alcool ont tendance à minimiser leur consommation, il est en revanche moins plausible que des gros buveurs se déclarent non-consommateurs. On peut donc faire l'hypothèse que la sous-déclaration touche l'ensemble de la population, même si les gros buveurs sous-déclarent un peu plus que les autres. Par exemple, sur le plan géographique, la comparaison des déclarations de consommation d'alcool avec celles des ventes et surtout avec celles de la mortalité liée à l'imprégnation éthylique chronique, indique une minimisation plus importante des quantités d'alcool bu dans le Nord notamment. Cette sous-déclaration peut être due au fait que cette région est souvent stigmatisée pour ses problèmes d'alcool et que ses habitants, consciemment ou inconsciemment, font le choix de minimiser leur consommation. A l'opposé, il semble que le Sud-Ouest, de tradition viticole et moins touché par les conséquences néfastes de l'abus d'alcool, déclare des quantités bues plus proches de la réalité. Au total, ceci ne doit pas jouer de façon trop importante sur l'identification des déterminants socio-économiques établie par notre étude. Ceux-ci restent primordiaux pour orienter efficacement les politiques de Santé publique.