3 questions à... Guillaume Chevillard, à l'occasion de la parution du Questions d'économie de la santé n° 301 intitulé : « Comment les médecins généralistes s'adaptent-ils à la sous-densité médicale ? »
Octobre 2025
Cette étude est une synthèse des résultats d'un projet de recherche piloté par Bruno Ventelou (Université Aix-Marseille) et comprenant plusieurs équipes, dont des chercheurs de l'Irdes.
Nous sommes en effet dans un contexte de baisse continue de l'offre de médecins généralistes, avec une intensité plus forte dans les territoires déjà sous-dotés. Maintenir l'accessibilité à une offre de soins de qualité dans un environnement de travail dégradé constitue donc un véritable enjeu pour les médecins. Dans ce cadre, nous avons identifié quatre principales formes d'adaptation des généralistes libéraux : l'évitement, c'est-à-dire le départ du territoire ou l'arrêt de l'activité ; l'ajustement du temps de travail des médecins ; la modification de l'organisation des soins et du cabinet, notamment le regroupement en maison de santé pluriprofessionnelle ; enfin, les changements dans les pratiques médicales.
Nos résultats montrent que les médecins développent plusieurs registres d'adaptation, certains semblant tantôt les protéger face aux difficultés existantes, et tantôt suggérer un risque de « mal-adaptation », c'est-à-dire une trajectoire d'ajustement qui s'avère socialement sous-optimale. Par exemple, le médecin peut quitter la zone sous-dotée, la profession de généraliste, ou l'activité, aggravant alors un déficit ; ou bien la surcharge de travail, en réponse aux besoins, peut conduire à l'épuisement professionnel. Mais ces adaptations peuvent aussi être positives, les médecins modifiant leur organisation du travail pour améliorer leur efficience, grâce à un exercice plus collectif ou en développant des coopérations pluriprofessionnelles.
Grâce aux données du Système national des données de santé (SNDS), nous décrivons la localisation, l'activité et les motifs de fin d'exercice des médecins libéraux. Nous avons ainsi étudié le turnover territorial de généralistes libéraux, et en particulier ceux sortant d'un territoire donné avec les motifs associés (retraite, changement de lieu d'exercice, cessation d'activité, etc.). Le turnover de sortants actifs, c'est-à-dire pour un motif autre que la retraite, illustre alors de potentiels évitements d'exercice en zone sous-dense de la part des généralistes. Et ce taux est plus élevé dans les zones sous-denses, participant à les fragiliser davantage. Des travaux supplémentaires sont prévus pour documenter davantage les déterminants individuels et territoriaux du turnover.
Depuis vingt ans, des politiques nationales et locales ont été déployées pour attirer et maintenir des médecins dans les zones sous-denses. Plusieurs types d'incitations financières existent, souvent limitées dans le temps, et visent davantage l'installation que le maintien dans un territoire donné, tandis que l'amélioration des conditions d'exercice poursuit, elle, ces deux objectifs. Nos résultats montrent une plus forte « fuite » de médecins actifs dans les zones sous-denses et donc l'importance d'y poursuivre l'amélioration des conditions d'exercice via l'exercice coordonné pluriprofessionnel, la délégation de tâches, par exemple entre médecins et infirmières, ou encore le déploiement d'assistants médicaux. Par ailleurs, des incitations financières au maintien de l'exercice existent et doivent être évaluées : cumul-emploi retraite et contrat de transition pour les médecins proches de la retraite qui accompagnent un nouveau confrère. Enfin, à plus long terme, la formation médicale doit être en partie repensée pour diversifier les profils sociaux et géographiques des étudiants, leurs lieux de formation et particulièrement leurs lieux de stages. La littérature internationale montre en effet que lorsque les étudiants ont effectué un stage dans une zone sous-dense, leur probabilité de s'installer dans ce type de territoire est plus forte. Cela permettrait de maximiser les chances d'installations pérennes dans les zones sous-denses, qui sont le plus souvent rurales.