3 questions à... Catherine Sermet (directrice de recherche, Irdes) et Thomas Renaud (chargé de recherche, Irdes) à propos de la sortie du rapport "Les dépenses de prévention en France - Estimation à partir des Comptes nationaux de la santé en 2002". |
Le constat initial est que les dépenses consacrées à la prévention en France étaient très mal connues. En particulier, les Comptes nationaux de la Santé – qui ont pour objectif de reconstituer les dépenses d'ensemble du système de santé selon l'objet de ces dépenses – proposent une estimation partielle des montants consacrés à la prévention puisqu'elle couvre uniquement les programmes de prévention collective ou des actions de prévention dont le financement est institutionnel (Etat, collectivités, Fonds spécifiques de l'Assurance maladie…). Qui plus est, les montants de « prévention » ainsi produits dans les Comptes de la Santé ont nourri un discours sur la supposée faiblesse récurrente de la France en matière d'efforts préventifs.
Effectivement, parvenir à une estimation satisfaisante des dépenses de prévention en France a été une entreprise complexe. Les difficultés auxquelles nous avons fait face dans ce travail étaient de deux ordres : conceptuel et méthodologique.
La première difficulté est en effet de parvenir à une définition consensuelle de ce qu'est la prévention et de ce qui la distingue du soin. Car évidemment, toute estimation financière qui s'en suit est contingente du champ considéré. Nous avons donc mené un travail conceptuel sur les différentes dimensions de la prévention, nous avons mobilisé l'avis d'experts (médecins et économistes) et nous nous sommes également inspiré des classifications de la prévention existantes (celle de l'OMS en prévention primaire/secondaire/tertiaire et celle de Gordon en prévention universelle/indiquée/sélective). Tout cela nous a permis de circonscrire le champ de la prévention, en explicitant les frontières entre activités préventives et curatives, et surtout de produire un mode de classement et de hiérarchisation des actions de prévention qui a l'avantage d'être flexible et qui est opérant dans la perspective d'une estimation financière.
Le passage de cette vision théorique de la prévention à un calcul pratique des efforts financiers qui lui sont consacrés est délicat. La méthode employée dérive du principe méthodologique développé pour les Comptes par pathologie. Il s'agit d'une estimation dite « descendante » appliquée aux montants des agrégats des Comptes de la santé.
En l'occurrence, il s'agit d'analyser l'agrégat « Consommations de Soins et de Biens Médicaux » (qui recense l'activité de soins des différents secteurs du système de santé), d'y repérer les activités préventives et de les valoriser. Pour cela, nous mobilisons de nombreuses sources d'informations médico-économiques : données administratives de l'Assurance maladie, panels de médecins libéraux, enquêtes sur l'activité de certains professionnels de santé, enquêtes en population générale, etc. De plus, il est nécessaire de réaliser des expertises médicales ad hoc en produisant systématiquement des listes d'actes médicaux, de motifs de recours, de médicaments, d'examens qui semblent réalisés ou consommés à titre préventif (compte-tenu de la définition de la prévention retenue).
Tout d'abord, précisons que sur cette estimation globale de 10,5 milliards d'€, seuls 4,7 milliards d'€ (45%) étaient déjà identifiés comme des dépenses de prévention dans les Comptes de la Santé publiés pour l'année 2002. Notre étude a donc permis d'isoler une dépense supplémentaire de 5,8 milliards d'€ en isolant au sein de la « Consommation de soins et de biens médicaux » des Comptes de la santé, ce qui a trait aux activités préventives. Ensuite, on peut décomposer cette dépense globale selon plusieurs découpages pertinents.
Le premier découpage présente 3 catégories de dépenses distinctes selon la nature de l'action de prévention menée et le type de population visée. Ce sont tout d'abord les « actions cherchant à éviter la survenue d'une maladie ou d'un état indésirable » dans la population générale qui génèrent la dépense la plus importante (5,5 milliards d'€). Ensuite les dépenses affectées aux « dépistages » d'une part et aux « prises en charge des facteurs de risque, addictions et formes précoces de maladie » d'autre part sont à peu près équivalentes (2,5 milliards d'€ environ pour chacune de ces catégories).
Un second découpage permet de différencier le montant consacré à la prévention selon que les dépenses engagées sont individualisables ou non. Les « dépenses individualisables » sont relatives aux actions à destination des individus et relèvent exclusivement de la prévention médicale. Elles sont majoritaires dans l'effort financier consacré à la prévention, avec 79 % de la dépense totale (8,3 milliards d'€).
A contrario, les institutions engagent également des « dépenses non individualisables » : celles-ci ont trait à certaines actions de prévention médicale collective (campagnes de sensibilisation notamment) mais aussi à l'ensemble des mesures de sécurité sanitaire et d'hygiène du milieu qui interviennent en amont du système du santé mais qui relèvent néanmoins d'une démarche préventive. Néanmoins, au total elles ne représentent que 21% des dépenses totales de prévention (2,2 milliards d'€).
Précisément, il est délicat de le savoir avec exactitude puisque notre méthode est relativement novatrice et qu'à notre connaissance, elle n'a pas d'équivalent à l'étranger. Néanmoins, si l'on tient au périmètre de la prévention telle qu'elle est présentée dans les postes des Comptes de la Santé, on peut tenter d'établir une comparaison avec les autres pays en mobilisant les données de l'OCDE (source : www.ecosante.fr). Cette comparaison comporte tout de même une part d'imprécision car les systèmes nationaux de comptabilité des dépenses de santé ne sont pas harmonisés et la composition des postes de dépenses pas forcément comparables.
La part de la dépense courante de santé consacrée à la prévention en Europe est très variable d'un pays à l'autre : de 0,7 % en Italie et au Luxembourg à 5,3 % aux Pays-Bas (valeurs de 2002). Avec une part de 3,1 %, la France se situe à un rang moyen parmi les pays Européens, schématiquement à mi-chemin entre les pays latins (moins de 2,2 % en Italie, en Espagne et au Portugal) d'une part, et les pays d'Europe du nord (Finlande, Danemark) et les Pays-Bas d'autre part. Rappelons tout de même que, selon notre estimation, si l'on intègre les dépenses de prévention ciblées sur les individus, la part consacrée à la prévention en France en 2002 monte à 6,4 %, les 3,1 % clairement identifiés dans les Comptes de la santé étant pour l'essentiel de la prévention collective. Les comparaisons doivent donc être prudentes, compte tenu de la difficulté de cerner un champ commun à tous les pays pour la prévention.