En premier lieu, il convient de mentionner le rôle considérable joué par l'aide informelle. Il est difficile d'attribuer une valeur monétaire à l'aide informelle, mais les enquêtes menées en France (Handicap, incapacités et dépendance (HID) et Handicap-Santé) et en Europe the Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe (SHARE) mettent toutes en évidence l'importance du soutien familial dans la prise en charge et son poids économique. A côté des solidarités familiales, l'intervention publique prend différentes formes et permet de financer tout ou partie des dépenses de soins, des dépenses liées à la dépendance stricto sensu ou encore des dépenses liées à l'hébergement. Les circuits de financement sont cependant relativement complexes.
La dernière évaluation comptable menée en 2010 estimait à 24 milliards d'euros, soit 1,4 % du PIB français, l'effort public en faveur des personnes âgées dépendantes. Le reste à charge global est quant à lui estimé à 10 milliards d'euros. Même si peu de données permettent de retracer de manière exhaustive les restes à charge au niveau individuel, on sait qu'ils peuvent atteindre des sommes relativement élevées, en particulier lorsque la prise en charge s'organise en institution. Pour financer en partie ces restes à charge, près de 5,5 millions d'individus disposent en France d'une assurance dépendance souscrite auprès d'un organisme privé. Néanmoins, seuls 2 millions d'individus disposent d'une couverture viagère (jusqu'au décès). Cela représente moins de 10 % de la population des 50 ans et plus. C'est évidemment très peu au regard des restes à charge auxquels sont exposés les individus.
On peut les regrouper en deux catégories. Certains renvoient tout d'abord au manque d'attractivité de l'offre. Le montant des indemnités et le fait qu'elles prennent la forme de rente forfaitaire ne permettent pas de garantir un montant couvrant les restes à charge effectifs. Les assurances ne garantissent, dans la majorité des cas, que la dépendance lourde et intègrent généralement des délais de carence (pouvant atteindre trois ans) et des délais de franchise. En termes de prix, les analyses menées aux Etats-Unis montrent qu'elles sont finalement relativement chères au regard des garanties offertes. Le marché est néanmoins assez jeune et l'on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'à l'avenir, l'offre gagne en attractivité.
D'autres freins, plus difficiles à lever, renvoient directement à la demande d'assurance. La littérature pointe tout d'abord la méconnaissance du risque dépendance au sein de la population et des risques financiers associés. Beaucoup d'individus semblent sous-estimer les risques ou bien surestimer la couverture publique. Plus que ça, la littérature suggère que même un individu parfaitement informé des risques encourus pourrait trouver légitime de ne pas s'assurer. Le risque se situerait tout d'abord à un horizon temporel trop éloigné pour être pris en compte. De plus, les individus pourraient ne pas souhaiter transférer de la richesse de l'état de « non dépendant » à l'état de « dépendant ». Enfin, ils pourraient préférer s'appuyer sur le soutien familial en cas de dépendance.
Cette revue de la littérature s'inscrit dans un projet de recherche plus général qui vise à comparer les différents systèmes de protection sociale envisagés pour couvrir les besoins de prise en charge des personnes âgées dépendantes. Le « rapport Fragonard » remis en 2011 au ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale à l'occasion du débat national sur la dépendance est de ce point de vue très stimulant. Il présente trois scénarios de réformes, basés sur la consolidation du système actuel, la création d'un dispositif public de sécurité sociale, ou l'instauration d'un système d'assurance privée universelle. Une évaluation approfondie de ces différents scénarios en termes d'efficience et d'équité est bien sûr nécessaire mais bute à ce jour sur le manque de connaissance profond que nous avons des restes à charge, de leur distribution au sein de la population et de la manière dont ils sont financés.
Au-delà des enseignements que l'on peut tirer de la théorie économique, nous n'avons par ailleurs que très peu de connaissances sur la demande d'assurance issues d'analyses empiriques. Comment les individus perçoivent-ils et anticipent-ils le risque dépendance ? Comment la demande d'assurance dépendance réagit-elle aux variations de prix ? Quelle dimension familiale cache la demande individuelle de couverture ? Comment sont utilisées les rentes versées par les assureurs ? Autant de questions qui appellent des développements futurs. Actuellement, nous étudions plus spécifiquement le rôle des préférences sur la perception du risque dépendance et les comportements de couvertures. Nous nous appuyons pour cela sur deux enquêtes : l'Enquête santé et protection sociale (ESPS) de l'Irdes qui intégrait en 2012 un module spécifique sur le risque dépendance et l'enquête Pated (sur la perception du risque dépendance et la demande d'assurance) menée en 2011-2012 par la Fondation Médéric Alzheimer.
Propos recueillis par Anne Evans