3 QUESTIONS À...


1/ Qu'est-ce qui a motivé votre recherche ?

Notre étude a été motivée par une demande du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (Hcaam) qui avait ouvert un cycle de réflexion autour de la place de la médecine spécialisée dans l'architecture du système de santé. Le Hcaam partait en effet du constat qu'en France, la proportion de médecins spécialistes est de plus en plus importante et leur hyper spécialisation risque de produire une fragmentation de l'offre de soins. La répartition géographique inégale de ces médecins risque de constituer une autre difficulté d'accès aux soins. 
Notre objectif a d'abord consisté à identifier différentes formes d'organisation de la médecine spécialisée ambulatoire à l'étranger pour alimenter la réflexion globale sur l'organisation de la médecine spécialisée en France. Il existe peu de structures d'exercice ambulatoire regroupé en médecine spécialisée à l'étranger. Dans la plupart des pays, la tendance est au décloisonnement des frontières entre les médecins spécialistes, qu'ils exercent en ville ou à l'hôpital, et les professionnels exerçant en soins primaires ou dans le secteur médico-social, avec une volonté de réorganiser les soins en les centrant sur les patients. La coordination des professionnels de santé qui travaillent dans différents secteurs est un enjeu primordial partout pour faire face au vieillissement de la population et à l'augmentation du nombre de personnes atteintes de maladies chroniques.

2/ Quelles sont les démarches et les outils communs pour décloisonner les prises en charge des patients entre médecine spécialisée et soins primaires dans les cinq pays que vous avez étudiés ?

En premier lieu, on constate, que dans tous les cas étudiés (en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis, en Italie, aux Pays-Bas), la recherche de nouvelles formes d'organisation et de coopération émane principalement des professionnels sur le terrain. L'impulsion vient souvent d'un problème de prise en charge local ou national et d'une volonté d'améliorer cette prise en charge et le parcours de soins des patients. L'enjeu principal pour les soignants à l'origine de ces projets est de construire des équipes pluriprofessionnelles qui partagent une vision commune des soins nécessaires pour les patients. Par exemple, la formalisation de parcours de soins des patients selon différents niveaux de gravité de la maladie permet aux professionnels de s'accorder sur les rôles à jouer par chacun aux différentes étapes de la prise en charge.
On constate aussi l'émergence de professionnels qui jouent un rôle « pivot » entre plusieurs organisations et équipes pluriprofessionnelles.  Ces professionnels, qui font le lien entre les soignants hospitaliers et ceux travaillant en ville et aussi à domicile, sont essentiels dans l'intégration des soins. Cette fonction est souvent portée par un ou une infirmière, mais pas seulement, elle peut être assurée par des professionnels de formations et de statuts divers, y compris par les médecins spécialistes.
Enfin, on note que ces modèles fonctionnent aussi parce que les hôpitaux et les professionnels de santé ne sont pas perdants financièrement lorsqu'ils se réorganisent pour améliorer les parcours de soins. Dans les cas étudiés, la rémunération par capitation ou sur une base salariale des professionnels de santé facilite la collaboration entre eux, car la redéfinition des rôles ne représente pas un risque financier. Dans tous les cas, les incitations financières sont conçues pour encourager tous les professionnels de santé, en ville, à l'hôpital ou à domicile, à travailler avec les mêmes objectifs. Mais ces exemples illustrent clairement le fait que l'évolution du financement arrive bien souvent comme la dernière étape d'une transformation organisationnelle amorcée depuis longtemps. Les changements organisationnels et culturels prennent du temps, et la stabilisation de ces équipes requiert un travail en soi de la part de tous les professionnels impliqués. 

3/ Quels enseignements peut-on tirer de votre étude concernant la crise actuelle du Covid-19 ?

La prise en charge des patients atteints du Covid-19 met à l'épreuve tous les acteurs du système de santé sous la pression de l'épidémie. Les questions de coordination des acteurs et l'efficacité des parcours de soins sont plus que jamais essentielles. Il est évident qu'une organisation efficace en ville et au domicile des patients peut réduire la tension à l'hôpital, mais aussi la progression de l'épidémie. C'est aussi le constat que font nos collègues italiennes qui comparent les situations dans différentes régions. En effet, en Vénétie, une stratégie de prise en charge plus orientée à domicile, avec une organisation des tests et du suivi par des professionnels de ville, semble réduire les hospitalisations comparativement à la Lombardie voisine. En France, face à une situation extrême, de nouvelles formes de pratiques et d'organisations se développent spontanément et rapidement dans plusieurs régions. On peut saluer quelques exemples comme le regroupement des professionnels dans des centres de santé Covid, les équipes mobiles de soins primaires (médecins généralistes et infirmières) qui assurent la continuité des soins au domicile des patients et la mise en réseau des praticiens. Celle-ci s'effectue via des outils de partage d'informations entre les professionnels, et grâce à des protocoles spécifiques pour les soignants intervenant au domicile ou en Etablissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) en lien avec les hôpitaux. Nombreux sont les exemples. Dans ce sens, il serait utile de capitaliser, pérenniser et soutenir les solutions organisationnelles trouvées par les professionnels, qui bousculent les frontières entre les soins de ville et l'hôpital. Cette comparaison internationale a aussi montré les démarches en cours dans certains pays pour mieux inclure les prestations médico-sociales, voire sociales, dans la prise en charge globale. En France, la crise actuelle n'est pas sans faire émerger les difficultés des auxiliaires de vies, aides à domiciles et aides-soignantes qui sont en première ligne mais peu soutenues face à la gestion de l'épidémie. Cette crise sera peut-être une opportunité de mieux les intégrer dans des nouvelles organisations pluriprofessionnelles.