3 QUESTIONS À...


1/ Votre publication inaugure une nouvelle série des Rapports de l’Irdes intitulée « Etudes de cas ». Qu’est-ce qui a motivé votre étude et en quoi elle est différente ?

Tout d’abord, ce premier volume, centré sur des expériences innovantes en matière d’organisation de la médecine spécialisée en Italie, en l’occurrence les réseaux pluridisciplinaires en Toscane, est publié en version française et anglaise simultanément. Il sera suivi d’études de cas réalisées dans quatre autres pays : Allemagne, Angleterre, Etats-Unis, et Pays-Bas. Cette nouvelle série a pour vocation de répondre de façon synthétique à un questionnement en s'appuyant sur l'analyse de situations sur le terrain. L’originalité de ces études est l'approche qualitative pluridisciplinaire. Elle repose sur des entretiens avec des chercheurs dans chaque pays (économistes, médecins, sociologues…) ainsi qu’avec des soignants et des acteurs impliqués dans ces organisations. Dans chaque cas, nous avons tenté de décrire de façon précise comment les soignants sont organisés autour des patients tout en essayant de comprendre les facteurs facilitant ou bloquant l'innovation organisationnelle.
La question à l’origine de ces études de cas reposait sur un constat. Dans un contexte de vieillissement de la population et d’augmentation du nombre de personnes atteintes de maladies chroniques, il est impératif de faire progresser la coordination des soins dans les secteurs des soins primaires, hospitaliers et de longue durée. Or, malgré le rôle essentiel des médecins spécialistes dans la prise en charge de ces patients, peu d’attention a été portée à leurs modes d’organisation hors de l’hôpital et en termes de coordination des soins centrés sur le patient. Nous avons donc identifié, avec l’aide de chercheurs de chaque pays, des expériences plus ou moins innovantes dans lesquelles les spécialistes travaillent avec d'autres soignants pour intégrer les soins de ville. L’objectif était d’en tirer des enseignements pour participer à améliorer le système de santé français. Ces travaux ont en fait alimenté le Questions d’économie de la santé n° 248 qui fait la synthèse d’expériences dans les cinq pays cités.

2/ Quels sont les exemples étudiés en Italie et en quoi sont-ils intéressants ?

En Italie, dans la région de Toscane, nous avons étudié deux cas de prise en charge organisée en réseaux pluridisciplinaires, l’une concernant le pied diabétique et l’autre l’insuffisance cardiaque. Il faut noter qu'en Italie le système de santé est très décentralisé et que les Autorités sanitaires locales (ASL) ont beaucoup de pouvoir dans l'organisation et le financement des services de santé.
Il y a une approche d'organisation territoriale qui fonctionne bien en Toscane. Par exemple, dans les ASL de Pistoia et d’Arezzo, les professionnels de santé des cliniques du pied diabétique travaillent ensemble depuis plus de dix ans construisant des réseaux qui s’appuient sur un modèle de soins chroniques avec une approche centrée sur le patient. Ces cliniques disposent d’équipes pluridisciplinaires intégrées au sein de l’hôpital dans un département spécialisé, s’appuient sur une infirmière coordinatrice, et travaillent également au sein d’un réseau de professionnels de soins primaires de leur ASL. Un document commun, développé par les soignants, indique les responsabilités de chaque acteur dans le parcours (diabétologue, généraliste, infirmière, etc.) et les accompagne dans la prise de décision. De plus, tous les acteurs participent à un système d’évaluation de la performance (SEP), multidimensionnel. Le SEP a permis de comparer les résultats de soins entre les différents fournisseurs de soins et les territoires afin d’identifier et de partager les bonnes pratiques. Lors de notre étude, nous avons vu comment la comparaison des résultats (taux d’amputation des pieds diabétiques) des cliniques a permis d'identifier Arezzo, où le taux d’amputations standardisé est le plus bas de Toscane, (2 pour 100 000 personnes), et de partager leurs pratiques de collaboration et d’organisation avec d'autres territoires et cliniques qui ont changé leurs pratiques. Les taux d’hospitalisation pour le diabète à Arezzo et Pistoia sont aussi très faibles. Ils représentent la moitié du taux moyen en Toscane (15 versus 26 pour 100 000 personnes) [National Health Outcomes Program, données 2017].

3/ Que peut-on tirer de l'expérience italienne pour améliorer la coordination des soins des patients atteints de maladies chroniques en France ?

Premièrement, dans les deux cas étudiés ici, on voit que le point de départ des initiatives visant à améliorer la qualité et la continuité des prises en charge est le partage d’une vision claire de ce que doit être une bonne prise en charge. Une synergie entre les différents professionnels de santé se développe dès lors que les protocoles de soins et la répartition des responsabilités sont formalisés et testés par l’équipe pluriprofessionnelle concernée. L’adhésion des professionnels qui en résulte permet alors l’émergence d’une nouvelle culture de coopération qui favorise une dynamique de changements et d’améliorations des pratiques. Deuxièmement, l’autonomie de gestion et la flexibilité d’utilisation des ressources favorisent l’investissement dans des pratiques innovantes. Les modalités de financement (capitation ou salariat en ville, budget global à l’hôpital), en permettant cette flexibilité d’organisation, accompagnent ces transformations sans nécessairement y inciter directement. Les financeurs garantissent, à minima, que les hôpitaux et les professionnels de santé ne soient pas perdants financièrement lorsqu'ils s'organisent pour améliorer les parcours de soins. Enfin, le système d’évaluation de la performance (SEP), effectué par un organisme indépendant à partir d’indicateurs scientifiquement validés, contribue pleinement à créer une culture de partage des bonnes pratiques.