3 questions à... Coralie Gandré à l'occasion de la parution du Questions d'économie de la santé n° 250 intitulé : « Moins de soins de prévention, de recours aux spécialistes et plus d'hospitalisations évitables chez les personnes suivies pour un trouble psychique sévère », réalisé avec Magali Coldefy.
Septembre 2020
Une première étude, que nous avons menée en 2018 sur la surmortalité des personnes suivies pour des troubles psychiques, a montré à l'échelle nationale une réduction de l'espérance de vie atteignant en moyenne 16 ans chez les hommes et 13 ans chez les femmes ainsi qu'un taux de mortalité prématurée quadruplé en comparaison à la population générale. Ces éléments descriptifs appelaient des éléments explicatifs quant aux potentielles causes de ce constat accablant qui suggère que les personnes vivant avec un trouble psychique sont confrontées à de fortes inégalités de santé. Ils nous ont ainsi poussées à vouloir objectiver à grande échelle les éventuelles difficultés auxquelles est confrontée cette population dans son parcours de soins somatiques. La première étape en ce sens était de documenter de potentielles disparités de recours aux soins courants des individus suivis pour un trouble psychique sévère (trouble psychotique ou bipolaire) comparativement à la population générale. Cette étude est issue du projet Comorbidités et parcours de soins somatiques des personnes suivies pour un trouble psychique (Colchique) soutenu financièrement par l'Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam).
Les données du Système national des données de santé (SNDS), que nous avons mobilisées dans cette étude, montrent un moindre recours aux soins de prévention (notamment pour le dépistage des cancers) et aux soins de spécialistes courants (soins dentaires, gynécologiques, ophtalmologiques) chez les individus suivis pour un trouble psychique sévère, malgré une prévalence plus élevée des principales pathologies chroniques qu'en population générale. Nos résultats montrent également une occurrence plus importante des hospitalisations évitables, malgré des contacts plus fréquents en médecine générale. Ces constats sont d'autant plus frappants qu'ils sont observés en comparant la population suivie pour un trouble psychique sévère avec des témoins, non suivis pour ce type de trouble, présentant des caractéristiques sociodémographiques disponibles dans les bases de données similaires, et après ajustement sur leurs principales caractéristiques cliniques et d'environnement de vie. Cet ajustement est important car il souligne l'effet propre de la présence d'un trouble psychique sévère et démontre que la plus grande vulnérabilité socio-économique des individus suivis pour un tel trouble ne suffit pas à expliquer les disparités objectivées alors que c'est une hypothèse très souvent mise en avant.
Notre étude souligne les difficultés du système de santé à répondre de manière satisfaisante aux besoins spécifiques des personnes vivant avec un trouble psychique sévère. Elle soutient la nécessité de développer des mesures dédiées à augmenter leur recours aux soins, d'accompagner les professionnels pour une meilleure prise en compte de leurs besoins somatiques et d'encourager la prise en charge de leur santé physique (par exemple via des programmes d'éducation thérapeutique). Des travaux qualitatifs permettant de mieux appréhender les causes principales des disparités objectivées à l'échelle nationale (facteurs liés aux comportements individuels tels qu'un isolement social ou des difficultés de perception de la douleur ; facteurs liés au système de santé tels qu'une faible intégration des soins de santé mentale et de santé physique, une mauvaise attribution des symptômes somatiques au trouble psychique, une trop grande complexité du système…) viendront compléter ces premières pistes de réponse. Ainsi, nous développons désormais un projet de recherche mixte qui, à travers l'exemple illustratif des personnes suivies pour cancer, vise à mieux caractériser les difficultés dans les parcours de soins des individus vivant avec un trouble psychique sévère pour des pathologies somatiques traceuses afin d'identifier des leviers liés au système de santé pour réduire leur occurrence (projet « Cancers chez les personnes suivies pour des troubles psychiques sévères : des défauts de parcours de soins ? » (Canopée) financé par l'Institut national du cancer (Inca) jusqu'en 2022).