3 QUESTIONS À...


1/ Quels éléments rassemblent les médecins libéraux engagés dans la transformation des soins primaires ?

Les médecins engagés dans la transformation des soins primaires possèdent certaines caractéristiques qui les distinguent de leurs homologues. D'abord, ils partagent une vision commune de ce que doivent être les soins de premier recours, à savoir une offre complète de services allant de la prévention jusqu'à certains soins techniques, refusant le statut de « livreur de tickets » qu'on leur attribue parfois. De leur point de vue, cette vision extensive de leur rôle vise, grâce à une meilleure organisation, à pallier certaines carences de l'offre de soins. Dès lors, il s'agit de faire reconnaître les soins primaires comme le pilier sur lequel repose le système de santé en modifiant en profondeur la structure du champ médical. C'est dans cette optique qu'ils participent aux réformes en cours. Pour ce faire, ils s'appuient aussi sur des organisations collectives, qu'il s'agisse des syndicats ou de la Fédération régionale ou nationale des maisons de santé. Enfin, à l'instar d'un médecin interrogé qui se déclare « fan du côté libéral » dans la mesure où celui-ci lui offre la « la possibilité de créer [et] d'innover », les porteurs de projet développent une rhétorique entrepreneuriale.

2/ Comment leur trajectoire professionnelle est-elle déterminante pour participer aux expérimentations Incitation à une prise en charge partagée (Ipep) et Paiement en équipe de professionnels de santé en ville (Peps) ?

La socialisation syndicale et professionnelle de ces médecins joue un rôle important dans leur engagement dans l'une ou l'autre des expérimentations. En effet, ces expériences favorisent ou renforcent chez eux une appétence pour le changement institutionnel, changement présenté comme inéluctable dans la mesure où il répond à un « retard » français évoqué par plusieurs médecins. En outre, ils possèdent une propension à envisager ce changement sous la forme d'une succession de projets collectifs. La participation à ces derniers favorise une acculturation progressive aux rouages du système de santé particulièrement utile car cela leur permet d'aller au-devant des autorités publiques « en connaissant les dossiers » tout en mobilisant « des éléments de langage à la fois administratifs, réglementaires ». Non seulement ces médecins sont parties prenantes des réformes en cours, que l'on pense à la constitution en Maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) ou en Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) par exemple, mais ces dernières constituent bien souvent une condition pour participer aux réformes à venir.

3/ Que révèle votre étude en matière de généralisation et de réplicabilité de ces expérimentations ?

La singularité du profil de ces médecins entrepreneurs interroge la généralisation et la réplicabilité de telles expérimentations. En se reposant sur un Appel à manifestation d'intérêt (AMI), ces expérimentations s'appuient implicitement sur des compétences inégalement distribuées parmi les médecins généralistes. Il n'est donc pas étonnant de constater la forte présence de leaders syndicaux ou professionnels parmi les expérimentateurs. Par ailleurs, comme on l'a souligné, la participation aux expérimentations article 51 suppose la réunion de certaines conditions institutionnelles et organisationnelles, produit des réformes antérieures. La généralisation et la réplicabilité de telles expérimentations passeront donc par l'accompagnement des médecins entrés récemment dans la profession, à la fois dans la connaissance et la manière de répondre à de tels appels à projet, et dans la structuration d'un socle organisationnel nécessaire pour mettre en œuvre les réformes à venir.