3 QUESTIONS À...


1/ Pourquoi peu de travaux ont-ils été menés jusqu'à présent sur l'alcoolisation des 18-30 ans ? Quelles sont les spécificités de cette population ?

En termes de prévention des conduites à risque pour la santé, l'adolescence est une période de fragilité importante à observer pour connaître les circonstances des premières expérimentations de l'alcool par les jeunes et leurs modes de consommation. C'est pourquoi des enquêtes spécifiques auprès d'eux existent depuis longtemps. Mais au fil du temps, la période de transition vers l'âge adulte s'est allongée, liée à plusieurs phénomènes sociologiques touchant les dernières générations et justifiant de l'étudier en particulier.
Rappelons d'abord que la période allant de 18 à 30 ans est une période de vulnérabilité sur le plan biologique car le cerveau termine sa maturation, en particulier celle de la région du cortex préfrontal, zone de responsabilité, de capacité à planifier et à maîtriser ses impulsions. De plus, à l'aube du XXIe siècle, les jeunes s'inscrivent dans un contexte de mutation et de grande incertitude, d'allongement des années de formation. Ainsi, les jeunes adultes âgés de 18-30 ans sont particulièrement vulnérables face au chômage, à la pauvreté, à l'incertitude du lendemain. Ils reculent le moment de fonder un foyer, cohabitent plus longtemps avec leurs parents et offrent une diversité des situations et de parcours de vie. L'alcoolisation, fortement liée à l'environnement socio-culturel, familial et relationnel, connaît donc des transformations à cette période, qu'il est crucial de connaître.
Certaines enquêtes spécifiques ont pu étendre l'observation des adolescents au-delà de 17 ans, comme celle que nous avons publiée sur les 13-24 ans et l'alcool en 2011 (Choquet et al., 2011) et qui posent moult questions relatives à la consommation d'alcool. Mais le plus souvent, les données sur cette période charnière entre l'adolescence et l'âge adulte mûr sont issues d'enquêtes généralistes sur la santé qui ne comportent que peu de questions sur le sujet. C'est le cas de l'Enquête santé et protection sociale-Enquête santé européenne (ESPS-EHIS) 2014. Les jeunes de 18 à 30 ans y sont suffisamment nombreux pour pouvoir être étudiés spécifiquement car l'on dispose de données portant, d'un côté, sur les modes de consommation d'alcool via un test validé permettant de qualifier la consommation d'alcool des individus et, par ailleurs, sur les caractéristiques socio-économiques des individus.

2/ Quels sont les principaux profils de consommation des jeunes adultes en 2014, et comment ont-ils évolué depuis 2002 ?

Les données d'ESPS-EHIS 2014 permettent, à partir des réponses au test AUDIT-C validé en français, de construire des profils d'alcoolisation des individus interrogés. Parmi les jeunes de 18 à 30 ans, on distingue les quatre profils de risque gradués suivants : les non-consommateurs d'alcool (NC), les consommateurs sans risque (CsR), les consommateurs à risque ponctuel (CaRP) et les consommateurs à risque chronique et dépendants (CaRC). Comme ces noms l'indiquent, les deux dernières catégories représentent les populations à risque d'alcoolisation problématique selon des modes distincts, les uns ne s'exposant à des risques que ponctuellement mais parfois de façon importante (coma éthylique, accidents, rapports sexuels non protégés, bagarres…), voire fréquente, les autres de façon quasi-permanente et délétère pour leur santé actuelle et surtout future, tant sur le plan mental qu'organique (maladies cardiovasculaires, cirrhose hépatique, cancers, psychoses…).
Au cours du cycle de vie, c'est entre 18 et 30 ans que ces deux risques cumulés culminent. D'où l'intérêt d'agir préventivement en amont ou face aux dégâts avérés. Les jeunes femmes sont deux fois moins concernées que les jeunes hommes. Elles modèrent leurs comportements plus tôt, dès 25-30 ans (à 18-24 ans : 28 % de risque ponctuel + 2 % de chronique ; à 25-30 ans : 24 % de risque ponctuel + 2 % de risque chronique). Au contraire, les jeunes hommes accroissent le risque jusqu'à 30 ans (à 18-24 ans : 42 % de risque ponctuel + 12 % de chronique ; à 25-30 ans : 50 % de risque ponctuel + 10 % de risque chronique). On comprend ici qu'il est important de distinguer le sexe et l'âge car hommes et femmes n'ont pas les mêmes comportements.
Au fil des années, entre 2002 et 2014, si la consommation à risque est globalement stable chez les 18-30 ans, on observe toutefois une légère convergence entre hommes et femmes : pour les premiers, le risque tend à diminuer en raison d'une baisse de la consommation à risque chronique, alors que pour les secondes, il tend à augmenter en raison d'une hausse du risque ponctuel.

3/ Comment prolonger et enrichir cette étude ?

Cette étude apporte des résultats descriptifs nouveaux qui représentent tels quels des indicateurs utiles aux professionnels de santé pouvant les alerter face à leurs patients dont ils connaissent les caractéristiques socio-économiques. Les comportements à risque pour la santé ne se réduisent cependant pas à l'alcool ; ils sont nombreux et non indépendants les uns des autres, il est donc important d'étudier la façon dont ils se conjuguent. Or, EHIS recueille également des données sur la consommation de tabac, la nutrition (consommation de fruits et légumes) et la pratique d'activités physiques et sportives (APS), dont on connaît l'influence sur l'état de santé actuel et futur.
Notre prochaine étape sera donc de construire ces profils à risque conjugués et d'en étudier les déterminants, facteurs de vulnérabilité et facteurs de protection, afin de pouvoir proposer des actions de prévention et de promotion de la santé efficaces ciblant cette population d'adultes jeunes.