3 questions à... Noémie Morize et Vincent Schlegel à l'occasion de la parution du Questions d'économie de la santé n° 275 intitulé : « Les usages des financements expérimentaux Ipep et Peps dans cinq Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). Vers une redéfinition des frontières professionnelles autour de la division du travail de soin ? »
Février 2023
Si l'on reprend les cahiers des charges publiés en 2019, l'objectif commun aux deux expérimentations est d'améliorer la qualité des soins et du service rendu aux patients, tout en réduisant les dépenses de santé grâce à une allocation plus efficace des ressources. L'expérimentation Ipep vise, en incitant à la coordination entre les secteurs de soins de la ville et de l'hôpital, à l'amélioration à la fois de l'accès aux soins, de la coordination des prises en charge, de la pertinence des prescriptions médicamenteuses, et de la prévention et la promotion de la santé.
De son côté, l'expérimentation Peps doit permettre d'augmenter la coordination entre professionnels de soins primaires travaillant en équipe, et plus particulièrement entre médecins généralistes et infirmières. Les objectifs poursuivis sont d'améliorer l'accès aux soins, d'améliorer la qualité du parcours des patients, de diminuer les actes évitables et d'optimiser la prise en charge des patients. Dans le cadre de cette étude, nous avons cherché à comprendre quelles étaient les actions menées grâce aux financements expérimentaux et comment ces dernières contribuaient ou non à l'atteinte de ces objectifs.
Un premier constat est que les deux expérimentations sont inégalement contraignantes. L'expérimentation Ipep repose sur une base de financement fixe, dits crédits d'amorçage, devant permettre de lancer des projets, avant de laisser place à une rémunération au résultat. Les professionnels sont libres d'utiliser les crédits d'amorçage comme ils le souhaitent, et s'en emparent pour mettre en œuvre des projets de santé qui font sens, localement, pour eux.
L'expérimentation Peps, de son côté, est plus ou moins contraignante selon que l'équipe se soit engagée dans le forfait pour une sous-partie de sa patientèle (diabétique ou âgée) ou pour la totalité. Dans le second cas, l'expérimentation est davantage transformatrice, impliquant certains ajustements de la part des médecins généralistes : réduction du nombre de consultations, formalisation de plages de consultations plus longues, etc.
Un des objectifs sous-jacents de ces expérimentations est également de développer des organisations des soins « innovantes ». Dans ce cas, les deux expérimentations tendent à se rejoindre : rares sont les projets de santé totalement nouveaux dans les MSP. Les financements servent la plupart du temps à légitimer et soutenir des organisations du travail qui leur sont antérieures, et qui s'appuient sur plusieurs dispositifs (MSP, Asalée-Action de santé libérale en équipe, Assistant médicaux, autres expérimentations…).
À noter que notre article est le premier d'une série sur les usages de ces financements expérimentaux : si nous nous concentrons ici sur le cas de projets portés par des maisons de santé, d'autres travaux, menés par notre équipe (enquête Era2), permettront d'analyser leur déploiement dans des centres hospitaliers, et dans des centres de santé municipaux ou associatifs.
Oui, en effet, ces expérimentations participent d'un mouvement plus général de redéfinition du rôle et des frontières de certaines professions dans les soins primaires. Dans cet article, nous avons fait le choix de mettre en lumière trois groupes professionnels qui semblent particulièrement affectés par ces transformations. Premièrement, les infirmières investissent de nouvelles activités qui ont trait à la clinique ou à la coordination des parcours de soins. Quel que soit leur statut, les infirmières jouent un rôle clé dans les organisations de travail étudiées en assumant de nouvelles tâches habituellement réalisées par des médecins, ou délaissées par ces derniers, faute de temps. Deuxièmement, les secrétaires se voient confier des missions de prévention et d'accompagnement des patients, qui leur donnent un nouveau rôle de soignantes au sein des MSP. Ces évolutions ne sont d'ailleurs pas sans rappeler la mise en place de nouveaux financements pour les assistantes médicales (qui ne concernent pas les secrétaires de ces MSP). Troisièmement, les médecins des MSP se trouvent face à un paradoxe : alors qu'ils portent une vision holistique, globale de la santé et de leur rôle professionnel, les transformations des soins primaires tendent à les restreindre à un rôle davantage curatif, centré sur le diagnostic et la prescription. Ils mettent cependant en place des stratégies de résistance, déléguant les tâches au compte-gouttes et gardant une forme de contrôle sur ces processus.