3 QUESTIONS À...


3 questions à... Antoine Marsaudon et Paul Dourgnon (Irdes) à l'occasion de la parution du Questions d'économie de la santé n° 287 intitulé : « Changer les comportements de santé : les perspectives de l'économie comportementale », réalisé avec Lise Rochaix (Paris 1, Hospinnomics - APHP et PSE) et Mattéo M. Galizzi (LSE)

Avril 2024

1/ Pouvez-vous, en quelques mots, présenter ce qu'est l'économie comportementale ?

L'économie comportementale (behavioral economics, en anglais) s'est développée depuis les années 1989 sur la base des travaux de Daniel Kahneman, psychologue et économiste à l'Université de Princeton, et d'Amos Tversky, psychologue et mathématicien à l'Université de Stanford. L'économie comportementale intègre les résultats de la recherche en psychologie dans l'approche économique de la prise de décision individuelle. Elle a non seulement eu des impacts importants dans le monde académique, mais aussi des implications dans l'élaboration de différentes politiques publiques. A ce titre, l'économie comportementale est entrée au sein de différentes instances proches de la décision publique. Aux Etats-Unis, Barack Obama a créé en 2009 la Nudge Unit, suivie en 2010 par la Behavioural Insight Team au Royaume-Uni. En France, un département de sciences comportementales a été créé au sein de la Direction interministérielle de la transformation publique en 2017. Toutes ces structures ont pour objectif de concevoir de nouveaux outils permettant d'améliorer l'impact de leurs politiques, en particulier celles visant à modifier les comportements individuels.

2/ Quels nouveaux outils apporte-t-elle à la compréhension des comportements dans le domaine de la santé ?

Parmi l'ensemble des théories issues de l'économie comportementale, la théorie des perspectives, développée par D. Kahneman et A. Tversky, montre que la manière de présenter une situation et des arbitrages peut exercer une influence sur les choix des individus. Des chercheurs italiens ont montré, dans le cadre d'une étude portant sur l'impact de la formulation des messages d'incitation sur la participation au dépistage du cancer du sein, que lorsque l'information est présentée en insistant sur les pertes de chances liées au non-recours, le recours au dépistage est plus fréquent.

3/ Quelles pistes d'amélioration des politiques publiques de santé, en France, pourrait-on envisager ?

En France, le non-recours à un certain nombre de dispositifs sociaux est un problème récurrent des politiques sociales. C'est notamment le cas des dispositifs à destination des personnes précaires, comme par exemple la Complémentaire santé solidaire (CSS) avec et sans participation financière. Les taux de non-recours de ces deux dispositifs atteignaient, respectivement, 67 % et 30 % en 2021. Les enseignements de l'économie comportementale soulignent l'importance du choix de la formulation dans les messages ciblant les populations concernées. De futures interventions pourraient insister, par exemple, sur le risque de devoir payer plus cher pour ses soins en cas de non-recours à la CSS. Mentionner explicitement aux personnes éligibles, mais non couvertes, les sommes payées pour certains soins, avec et sans couverture de la CSS, pourrait ainsi participer à augmenter le recours à ce dispositif.