3 QUESTIONS À...


1/ Quels profils de Centres de santé (CDS) engagés dans le dispositif Paiement en équipe de professionnels de santé (Peps) avez-vous observés ?

D'abord, il faut préciser que 16 centres de santé sont entrés dans l'expérimentation Peps. Ces structures d'exercice pluriprofessionnel ont des organisations différentes, ici comme plus largement dans le paysage des CDS à but non lucratif : ils peuvent être municipaux, en sociétés coopératives d'intérêt collectif (ou coopératifs), ou associatifs, dans le cas présent d'orientation communautaire. Entre 2021 et 2023, nous avons interrogé 57 professionnels de ces structures, observé l'activité de 6 CDS et assisté aux échanges des représentants de ces équipes avec l'équipe nationale projet qui a lancé Peps. Précisons aussi que ces 16 CDS sont restés dans l'expérimentation Peps jusqu'à aujourd'hui, alors que les Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) qui s'y étaient engagées en 2019 l'ont progressivement quittée (leur nombre passant de 15 à 3 au fil du temps). Cette différence s'explique notamment par l'organisation des CDS - des structures pluriprofessionnelles, rompues à la recherche de financements, avec du personnel dédié de longue date à la coordination et au suivi de dispositifs expérimentaux - et par le profil social des professionnels de ces équipes de soins primaires, disposés à adhérer à une expérimentation susceptible de leur permettre de sortir du paiement à l'acte.

2/ Quelles sont leurs principales motivations à s'investir dans cette expérimentation ?

Pour commencer, Peps offre une alternative à la rémunération à l'acte des soins primaires, un modèle de financement qui comporte des limites inhérentes, que les soignants en CDS rencontrent depuis longtemps. Les profils sociaux de la patientèle des CDS - historiquement et majoritairement situés en territoires populaires, voire en quartiers labellisés « politique de la Ville », et dans des déserts médicaux - et leur mission d'intérêt général signifient en effet que leur activité consiste principalement à prendre en charge, de manière globale - a fortiori dans des zones où les médecins spécialistes font cruellement défaut - des patients avec plusieurs pathologies. Celles-ci sont liées à des contextes sociaux - comme le mal-logement, la précarité sociale, mais aussi la pénurie de médecins -, qui sont autant de facteurs de risque pour la santé et qui ne se résolvent pas uniquement par la prescription d'examens ou de traitements au coup par coup, mais par une coordination et une continuité des soins. Autrement dit, Peps a été perçu par les CDS comme une occasion de promouvoir un modèle de médecine sociale, qui inclut l'accès aux soins et la réduction des inégalités sociales de santé dans le périmètre de l'activité des équipes de soins primaires. Cette vision des soins est aussi un projet organisationnel, puisqu'il s'éloigne du modèle hospitalo-centré et médico-centré d'organisation des soins, en concevant le soin comme l'exercice collectif et coordonné d'une diversité de professionnels, y compris non-professionnels de santé - comme les travailleurs sociaux. En un mot, Peps a été pour les expérimentateurs en CDS l'occasion de valoriser leur activité symboliquement et financièrement, puisqu'un des enjeux de ces structures, depuis longtemps, est de consolider leur modèle économique.

3/ Quels enseignements en tirer pour une éventuelle généralisation de ce mode de paiement ?

Cette question en implique une autre, préalable : quels enseignements tirer du déroulement de l'expérimentation ? Peps a montré que, outre les conditions matérielles qui la rendent possible, une expérimentation doit beaucoup au fait que les acteurs qui s'y engagent soient déjà convaincus de l'intérêt de la démarche, et donc motivés à la faire exister. Au-delà, et notamment dans la perspective d'une généralisation de cette rémunération des soins primaires au forfait à l'échelle nationale, il faut donc réfléchir à des dispositifs de familiarisation, pour convaincre d'autres professionnels de santé de l'intérêt de la démarche. Pour ce faire, rien ne vaut la preuve par l'exemple : si l'expérimentation a bien fonctionné localement et que les bénéfices sur la continuité, la coordination des soins à démographie médicale constante et sur les conditions d'exercice des professionnels sont visibles, cela peut inciter les plus frileux à tenter l'expérience… Un autre constat frappant qui se dégage de notre étude est de mesurer combien l'expérimentation a évolué au fil des échanges entre équipe nationale projet et expérimentateurs, menant à une acculturation réciproque et à de véritables formes d'hybridation des manières de concevoir le travail de soin, et autant d'ajustements du modèle économique, pour que la théorie se rapproche autant que possible des réalités du terrain. Un exemple de ces évolutions est l'attention portée à l'enjeu de la précarité dans le calcul du forfait Peps, une dimension qui était initialement peu présente. Dans la phase de généralisation de ce mode de paiement, ce type d'enjeu se révèle déterminant pour l'avenir du système de santé. En effet, dans le contexte de désertification médicale et d'augmentation des inégalités sociales de santé en France, plus forte qu'ailleurs en Europe, l'un des enjeux de la généralisation de Peps est de tenir compte de la précarité d'un territoire dans le calcul d'une rémunération au forfait, tout en prévenant les effets d'aubaine et les risques de sélection de la patientèle par des structures de soins non tenues à la prise en charge de tout public.