3 questions à... Esther Touitou-Burckard, Coralie Gandré et Magali Coldefy à l'occasion de la parution du Questions d'économie de la santé n° 286, intitulé : « Isolement et contention en psychiatrie en 2022 : un panorama inédit de la population concernée et des disparités d'usage entre établissements », réalisé avec Anis Ellini, Sébastien Saetta et le consortium Plaid-Care.
Mars 2024
Un recueil obligatoire des mesures d'isolement et de contention mécanique a été mis en place depuis 2018 auprès des établissements de santé avec une activité de psychiatrie délivrant des soins sans consentement. D'après ce recueil, l'isolement a concerné 28 000 personnes en 2022, soit 37 % de celles hospitalisées sans leur consentement, et la contention mécanique 8 000 personnes, soit 11 % de celles hospitalisées sans leur consentement. Ainsi, le recours à ces mesures n'est pas marginal et surtout très hétérogène entre établissements, invitant à questionner les pratiques. Ces mesures ne sont en effet pas anodines : pour la contention mécanique, en particulier, il n'existe pas de données probantes sur un éventuel bénéfice thérapeutique, tandis que les effets indésirables sont nombreux (problèmes circulatoires, cutanés, dégradation de la relation de soins…). Le suivi du recours à ces mesures doit être poursuivi, dans un contexte où la réduction de leur usage figure parmi les objectifs de la Feuille de route ministérielle santé mentale et psychiatrie. Cette réduction est soutenue par un cadre législatif à visée dissuasive et des recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé. Par ailleurs, le recueil fait état de mesures d'isolement et de contention en psychiatrie en dehors du cadre légal des soins sans consentement, ce qui invite à soutenir un suivi de ces mesures dans d'autres champs (urgences générales, secteur médico-social, gériatrie) où leur usage questionne également sans faire l'objet d'un cadre législatif spécifique.
Les personnes ayant des mesures d'isolement ou de contention mécanique sont majoritairement des hommes jeunes, ce qui questionne l'impact sur leurs parcours de santé et de vie ultérieurs. Elles présentent des prises en charge complexes (arrivée plus fréquente par les urgences, durées annuelles de séjours plus longues que les autres personnes hospitalisées sans consentement). En outre, les séjours avec un recours à l'isolement ou à la contention sont liés dans près de la moitié des cas à la prise en charge d'un trouble psychotique, bipolaire, de la personnalité ou du comportement. Ce sont ceux pour lesquels des phases d'agressivité et d'agitation psychomotrice surviennent le plus fréquemment, rejoignant ainsi les recommandations en vigueur, mais invite néanmoins à interroger les alternatives qui auraient pu être déployées. Par ailleurs, les séjours pour déficiences intellectuelles et troubles du spectre de l'autisme sont surreprésentés parmi les séjours associés à des mesures d'isolement et de contention en comparaison à leur fréquence au sein des autres séjours sans consentement. Cela suggère que ces mesures pourraient être mobilisées pour compenser des difficultés à répondre aux besoins spécifiques de certaines populations. C'est également le cas pour les détenus, pour lesquels on observe un recours très marqué à l'isolement, qui est souvent utilisé pour répondre à des exigences de sécurité non justifiées par des motifs cliniques.
Nos résultats soulignent des variations majeures dans l'usage des mesures d'isolement et de contention entre établissements. Ainsi, certains déclarent ne jamais recourir à ces mesures (11 établissements concernés pour l'isolement et 32 pour la contention), tandis que d'autres y recourent de façon marquée (14 établissements avec de l'isolement pour plus de 50 % de leurs séjours en soins sans consentement et 18 établissements avec de la contention pour plus de 20 % de ces séjours). Ces résultats interrogent quant à un déclenchement de mesures, censées être exceptionnelles, variable selon la structure de prise en charge. Ce constat ne peut s'expliquer uniquement par des différences de besoins de soin des populations prises en charge. Des éclairages qualitatifs permettent de repérer l'existence de savoirs, de pratiques et de représentations, portés par une organisation du travail, une politique de ressources humaines et l'affirmation de valeurs, qui favorisent un moindre usage des pratiques coercitives en psychiatrie. Des politiques publiques plus ambitieuses, soutenant les équipes soignantes dans la limitation de l'usage des mesures d'isolement et de contention en psychiatrie, demeurent à penser pour atteindre toutes les structures. Elles seront éclairées par le deuxième volet de notre étude qui vise à identifier les déterminants des variations du recours aux mesures d'isolement et de contention mécanique entre établissements à l'échelle nationale.