3 questions à... Sylvain Pichetti, Marc Perronnin et Anne Penneau, à l'occasion de la parution du Questions d'économie de la santé n° 302 intitulé : « L'appui des aidants familiaux influence-t-il la qualité des prescriptions de benzodiazépines chez les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ? »
Novembre 2025
Les benzodiazépines sont les psychotropes les plus utilisés pour le traitement de l'anxiété et de l'insomnie, qui sont fréquentes chez les personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer ou syndromes apparentés. Deux configurations de prescriptions sont considérées comme potentiellement inappropriées : la première renvoie à la prescription de benzodiazépines à longue durée d'action, qui sont très fortement déconseillées pour les personnes âgées de 65 ans et plus. Ces médicaments ont en effet une demi-vie supérieure à vingt heures et augmentent le risque de chutes. La deuxième configuration porte sur la durée de prescription qui ne doit pas dépasser trois mois chez les sujets âgés, selon les recommandations nationales et internationales.
Notre étude montre que l'aide familiale apportée aux personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer pour réaliser les démarches médicales (aide à la prise de médicaments, programmation de rendez-vous) est associée à une augmentation de la probabilité de recevoir des prescriptions inappropriées de benzodiazépines à longue durée d'action (+21,7 points). En outre, la proximité entre l'aidant familial et la personne atteinte de la maladie d'Alzheimer, c'est-à-dire lorsque la personne âgée a un conjoint ou au moins un cohabitant, renforce cet effet.
Les aidants familiaux jouent souvent un rôle central auprès des personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer, notamment d'accompagnement pour réaliser les activités médicales (prise de rendez-vous chez le médecin, participation aux consultations, aide à la prise de médicaments). Ils sont souvent les mieux placés pour identifier un changement d'état de santé ou une modification de traitement. C'est donc souvent l'aidant familial qui prend la décision de consulter, d'autant plus lorsque les personnes âgées ont des difficultés à exprimer leurs besoins de soins. Il peut aussi jouer un rôle important dans le déroulement de la consultation : les médecins généralistes peuvent rencontrer des difficultés à obtenir des informations précises de la part des patients âgés et à les impliquer pleinement dans la prise de décision. Si dans les premiers stades de la maladie, les patients sont encore en mesure de décrire leurs symptômes et de participer à la prise de décision, l'aggravation de leur état de santé peut progressivement les empêcher de le faire. Les aidants sont bien placés pour rapporter les incidents liés à l'évolution de la maladie, qui suscitent à la fois du stress et un épuisement de l'aidant, en même temps qu'ils peuvent menacer la sécurité de la personne âgée.
Le fait que les prescriptions potentiellement inappropriées de benzodiazépines à longue durée d'action soient plus élevées en présence d'un aidant familial peut donc s'expliquer par l'information transmise par celui-ci lors de la consultation, concernant notamment les troubles anxieux et l'insomnie, et par la volonté de mettre en place une solution pour y remédier. En recevant ces informations, le médecin réalise un arbitrage entre les risques liés aux effets indésirables associés aux benzodiazépines, qui devraient le conduire à ne pas en prescrire, et l'impératif d'apporter une réponse rapide aux besoins exprimés par la personne et ses aidants.
En premier lieu, il s'agirait de proposer des alternatives non médicamenteuses à la prescription de benzodiazépines. Certaines sont déjà bien identifiées : adaptation du logement de la personne âgée, étude des rythmes de vie, pratique de la relaxation, recours à des thérapies cognitivo-comportementales pour réduire l'anxiété... Mais deux obstacles en limitent la généralisation : d'une part, la diversité des alternatives thérapeutiques non médicamenteuses, qui plaide pour une labellisation de celles dont l'efficacité a été scientifiquement démontrée, afin d'en faciliter la prescription par les médecins. D'autre part, ces alternatives restent toujours plus coûteuses et difficiles à mettre en œuvre car elles impliquent de mobiliser un temps conséquent des professionnels de santé, tandis que la prescription de benzodiazépines apparaît moins coûteuse et plus efficace à court terme.
Des visites à domicile plus fréquentes par les infirmières dans le cadre de l'élargissement de leurs compétences (loi relative à la profession d'infirmier du 27 juin 2025) permettraient également de favoriser la prévention et le suivi (révision des prescriptions).
Enfin, les aidants familiaux qui font part aux médecins des incidents liés à l'évolution de la maladie (errance, agitation, agressivité) n'ont souvent pas conscience des conséquences négatives des prescriptions de benzodiazépines et considèreraient différemment ces prescriptions s'ils en connaissaient les effets sur le long terme. Une meilleure information sur la nocivité des prescriptions de benzodiazépines pour les personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer permettrait sans doute d'enrichir l'échange entre l'aidant familial et le médecin.