Les soins sans consentement en psychiatrie sont une exception à la loi française qui pose le consentement comme principe à toute prise en charge thérapeutique. Cependant, dans le cas de troubles psychiatriques sévères, la conscience du trouble ou du besoin de soins peut être altérée sur une courte durée. L'absence de soins crée alors un préjudice pour le patient que la législation a cherché à corriger en autorisant les soins sans consentement en psychiatrie. Le consentement aux soins reste cependant privilégié et la contrainte constitue une exception. Jusqu'en 2011, la loi du 27 juin 1990 identifiait deux principaux modes d'hospitalisation sous contrainte : l'hospitalisation à la demande d'un tiers et l'hospitalisation d'office, toutes deux à temps plein. La loi du 5 juillet 2011, en ouvrant les soins sous contrainte à d'autres modalités de prise en charge que l'hospitalisation à temps plein (cf. alternatives en ambulatoire, à temps partiel, etc.), et en prévoyant l'intervention d'un juge des libertés et de la détention, introduit de profonds changements dans ce champ. En amont de cette réforme, ce premier état des lieux des soins sans consentement doit nous permettre à terme d'en évaluer les effets. Il a été rendu possible grâce à la disponibilité récente des données du Recueil d'informations médicalisées en psychiatrie (Rim-P).
En 2010, plus de 71 000 patients ont été hospitalisés sans leur consentement (HSC), dont 80 % à la demande d'un tiers (HDT) et 20% en hospitalisation d'office (HO). Pour les HO comme pour les HDT, des procédures d'urgence existent, autorisant le recours à un seul certificat médical au lieu de deux, ou pour les HO autorisant le maire à mettre en place une telle mesure. Ces procédures d'urgence ont fortement augmenté ces dernières années et concernaient en 2009 la moitié des HDT et 64 % des HO (Coldefy, 2007). Ce recours fréquent aux procédures d'urgence reflèterait principalement une difficulté dans certains territoires à obtenir rapidement un second certificat d'un médecin extérieur à l'établissement.
La prise en charge des patients hospitalisés sans leur consentement est essentiellement réalisée dans les établissements publics auprès d'une population assez jeune (43 ans en moyenne contre 47 ans pour les patients hospitalisés librement) et plus souvent masculine. Les troubles psychotiques sont le plus souvent associés à l'HSC. La durée d'hospitalisation des personnes hospitalisées sous contrainte atteint presque le double de celle des hospitalisations librement consenties, dès lors qu‘est comptabilisé pour ces patients l'ensemble des séjours d'hospitalisation temps plein, consentis ou non, soit 76 jours en moyenne en 2010 contre 43 jours pour les patients hospitalisés librement. Concernant les trajectoires de soins, pour plus d'un quart des patients, l'HSC constitue la seule modalité de soins psychiatrique dans l'année (hors les prises en charge potentielles en ville). De plus, la moitié d'entre eux n'a pas eu de soins psychiatriques en établissements durant les trois mois précédant leur hospitalisation et un quart n'a pas de suivi en établissement au cours des trois mois suivant leur sortie.
Il nous paraît important de poursuivre ce premier état des lieux dans deux directions principales. La première est l'analyse des disparités de recours à l'hospitalisation sous contrainte. Les taux de recours à ce type de prise en charge très spécifique varient fortement selon les territoires, disparités ne pouvant s'expliquer exclusivement par des différences de prévalence des troubles psychiatriques entre zones géographiques. Les caractéristiques socio-économiques des territoires mais également l'organisation des soins et les stratégies thérapeutiques des équipes soignantes peuvent expliquer un recours plus ou moins important à ce type de pratiques.
Le second approfondissement, qui nous paraît nécessaire, est d'évaluer l'impact de la loi du 5 juillet 2011 sur le recours à la contrainte aux soins psychiatriques. Dans quelle mesure cette réforme a modifié les pratiques soignantes ? Observe-t-on une augmentation, une stagnation, une réduction du recours à la contrainte aux soins ? Quel impact sur le parcours de soins de la personne ? Plus généralement des travaux qualitatifs questionnant la définition de la contrainte aux soins et ses limites constitueraient des prolongements particulièrement intéressants sur ce sujet.
Propos recueillis par Anne Evans