Si de nombreux travaux étrangers mettent en évidence un plus faible recours aux soins des personnes handicapées, notamment pour les soins préventifs, peu d'études françaises avaient analysé cette question. Il faut souligner que pendant longtemps il n'y a pas eu de données françaises associant des données sur le recours aux soins et des informations sur le handicap. Les enquêtes Handicap, santé, ménages (HSM) et institutions (HSI) réalisées par la Drees et l'Insee en 2008-2009 ont en partie comblé ce manque. Parmi l'ensemble des soins courants, les soins dentaires, ophtalmologiques et gynécologiques représentent un enjeu important d'accès pour les personnes handicapées, ce qui justifie notre choix d'explorer, au travers des données de l'enquête HSM, ces trois types de soins au sein d'une population âgée de 20 à 59 ans. Cette limite de 60 ans correspond à l'âge du basculement de la protection sociale des personnes handicapées vers celle des personnes âgées dépendantes.
Il existe plusieurs façons d'aborder le handicap. Notre analyse s'appuie sur deux indicateurs : le premier porte sur les limitations fonctionnelles - ensemble des difficultés rencontrées par une personne pour se déplacer, monter un escalier, voir, entendre. Il permet une catégorisation des différents types de handicap (moteur, cognitif, visuel ou auditif), utile pour analyser si une forme particulière de handicap est associée à un moindre recours aux soins. Le second indicateur est la reconnaissance administrative du handicap, mesurée par l'accès à des prestations, allocations, emplois ou droits spécifiques. La reconnaissance administrative officialise et permet donc d'objectiver certaines situations de handicap et de tester l'influence du type d'allocations perçues sur l'accès aux soins.
L'enquête montre qu'environ 13 % des 20 à 59 ans déclarent une limitation fonctionnelle motrice, cognitive ou sensorielle. 6 % déclarent au moins une limitation fonctionnelle motrice ; la même proportion déclare au moins une limitation cognitive. Seuls 2,4 % de la population ont des limitations auditives et 1,9 % des limitations visuelles graves qui persistent malgré le port de lunettes ou de lentilles de contact. Enfin, 6 % des individus bénéficient d'une reconnaissance administrative du handicap.
Cette étude met en évidence un moindre accès aux soins dentaires et gynécologiques des personnes en situation de handicap quel que soit l'indicateur de handicap utilisé, limitations fonctionnelles ou reconnaissance administrative. En revanche, nos résultats ne montrent pas de problème d'accès aux soins ophtalmologiques.
Trois facteurs ressortent tout particulièrement pour rendre compte du différentiel d'accès aux soins. Le premier concerne la situation sociale des personnes handicapées, qui appartiennent plus souvent à des milieux sociaux plus défavorisés avec de plus faibles revenus, notamment lorsque leur handicap leur a interdit l'accès au marché du travail ou ne leur a pas permis d'accéder à des niveaux de salaire moyen ou élevé. De nombreuses études ont montré l'impact des inégalités sociales sur le recours aux soins. Nos résultats indiquent que les mêmes facteurs s'appliquent aux personnes handicapées : lorsqu'un différentiel d'accès aux soins existe pour ces personnes, la prise en compte des variables sociales permet de le réduire ou de le faire disparaître.
Au-delà de la dimension sociale, des problèmes d'accessibilité des bâtiments ou cabinets médicaux peuvent persister, comme le montrent les résultats obtenus sur les personnes en fauteuil roulant. Enfin, on observe une concentration des inégalités d'accès aux soins courants sur les personnes relevant de l'Allocation aux adultes handicapés (AAH), qui cumulent des revenus encore plus faibles que les allocataires de pensions et rentes d'invalidité, et ne bénéficient pas de la prise en charge à 100 % de leurs soins.
Les pouvoirs publics ont fait de l'insertion des personnes en situation de handicap une priorité nationale. La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées rappelle le principe général de non-discrimination et oblige la collectivité à garantir les conditions de l'égalité des droits et des chances à chacun. L'accès aux soins et à la prévention, défaillant, est un des domaines spécifiquement visés par cette loi.
Les résultats de notre étude suggèrent plusieurs pistes d'action publique. La première viserait à améliorer la situation financière des personnes en situation de handicap en relevant les plafonds des allocations et aides qui leur sont accordées. Une deuxième piste consisterait à améliorer la prise en charge des soins, soit en uniformisant les plafonds de l'AAH avec ceux de la CMU-C de manière à ce que les titulaires de l'AAH puissent avoir systématiquement accès à la CMU-C, soit en instaurant une exonération systématique du ticket modérateur pour toutes les personnes ayant un handicap reconnu. Les augmentations des plafonds de l'AAH et de la CMU-C intervenues depuis 2008 n'ont en effet pas modifié cette situation.
Cette étude montre aussi que les enseignements issus de l'analyse de l'accès à un soin particulier ne sont pas systématiquement transposables à l'ensemble des soins. Le deuxième volet de cette étude approchera le recours à d'autres soins, en particulier préventifs, et analysera l'accès aux soins courants et à la prévention des personnes prises en charge en institution.
Propos recueillis par Anne Evans