Les Expérimentations des nouveaux modes de rémunération (ENMR) ont été introduites dans le cadre du soutien des pouvoirs publics au développement de l'exercice pluriprofessionnel en soins de premiers recours. Les travaux d'évaluation réalisés par l'Irdes, au sein de l'équipe Partenariat pluridisciplinaire de recherche sur l'organisation des soins de premier recours-Prospere, visaient deux objectifs : fournir aux Agences régionales de santé (ARS) en charge du déploiement de ces expérimentations les indicateurs nécessaires au suivi des sites expérimentateurs ; enrichir la connaissance sur la nature et l'effet des formes d'organisation pluriprofessionnelles de soins de premiers recours en termes de performance (voir aussi Questions d'économie de la santé (QES) n° 189, Document de travail (DT) n° 62, QES n° 201) en traitant notamment les deux questions suivantes : les modes d'exercice pluriprofessionnels en maisons, pôles et centres de santé permettent-ils de maintenir une offre de soins dans les zones moins bien dotées ? (voir aussi QES n° 190, DT n° 57). Sont-ils plus performants que l'exercice isolé traditionnel ? La performance a été appréhendée à travers plusieurs dimensions. L'activité et la productivité des généralistes, d'une part, le recours et la dépense de soins en ambulatoire, l'hospitalisation et l'hospitalisation évitable ont, d'autre part, été investiguées. En l'absence de données cliniques disponibles, la qualité des soins a pour sa part été abordée au travers d'indicateurs de processus construits à partir des données médico-administratives. L'effet de l'introduction des nouveaux modes de rémunération sur les équipes pluriprofessionnelles de premiers recours dans les maisons de santé a enfin été documenté dans les travaux quantitatifs mais également dans une étude qualitative spécifique (voir Rapport de l'Irdes n° 557 et QES n° 201).
Ces travaux diffusés et synthétisés dans le dernier chapitre de ce rapport entendent contribuer à la définition des actions à mettre en œuvre pour réorganiser les soins ambulatoires et les conditions à prendre en compte pour une généralisation des nouveaux modes de rémunération dans les maisons, pôles et centres de santé.
La logique d'implantation des maisons de santé semble favoriser le maintien, voire le développement, de l'offre de généralistes dans les espaces défavorisés. Toutefois, les limites de l'analyse invitent à quelques précautions : effectifs modestes des maisons de santé, période d'analyse courte (2008-2012 versus 2004-2008), distinction impossible entre maisons et pôles de santé, le pseudo-canton échelon urbain peu satisfaisant.
Si l'atteinte des objectifs cibles (ENMR ou Rémunération sur objectifs de santé publique-Rosp) en termes de qualité des soins, de prévention ou d'efficience de la prescription est modeste - obtenue notamment en matière de mammographies pour le dépistage du cancer du sein, de prévention des risques iatrogéniques par un moindre recours aux traitements par vasodilatateur et l'acquisition d'antihypertenseurs génériqués -, les résultats montrent que les généralistes des maisons, pôles et centres de santé ont une meilleure qualité des pratiques que les témoins. Même si les performances sont variables selon la forme du regroupement et en faveur des maisons, pôles et centres de santé les plus intégrés (cf. chapitre sur la typologie des sites), les analyses montrent que comparativement aux témoins la productivité des généralistes y est supérieure en nombre de patients inscrits médecin traitant. De plus, la dépense de soins ambulatoires des patients inscrits auprès d'un médecin généraliste traitant y est moindre. Les économies ainsi générées sont, bien que sensibles à la méthode de calcul, supérieures aux ressources mobilisées dans le cadre des ENMR pour les sites les plus « intégrés ».
Une poursuite sélective de cette politique semble raisonnable compte tenu du fait que de nombreuses barrières à l'exercice regroupé pluriprofessionnel subsistent et que le soutien financier apporté par les ENMR peut être considéré comme compensé par les économies observées en matière de dépenses de soins ambulatoires dans les sites les plus « intégrés », notamment. En effet, une généralisation hâtive a de fortes chances de générer d'importants effets d'aubaine en suscitant le développement de collectifs de façade insuffisamment engagés dans un processus d'élaboration collective qui se révèle progressif et exigeant. L'évaluation qualitative montre que l'allocation d'une ressource collective à un groupe de professionnels pour la réalisation d'un projet de santé paraît une condition nécessaire à la création des conditions de coopération et de coordination qui témoignent d'une meilleure performance. Etant donné la nature culturelle et organisationnelle des changements en jeu, cette politique doit être inscrite dans la durée pour permettre aux transformations considérables engagées par les acteurs de terrain de se consolider et de diffuser. Les ENMR doivent plutôt être perçues comme un soutien, une incitation, une valorisation des pratiques pluriprofessionnelles les plus innovantes et souhaitables au regard des objectifs assignés aux soins primaires dans le cadre de la stratégie nationale de santé. Les nouveaux modes de rémunération viennent alors en soutien d'un processus transformateur de grande ampleur, dont il ne faut pas attendre de réduction massive des dépenses ou d'adaptation majeure des parcours de soins à court terme. Mais il faut suivre en revanche avec rigueur et constance leurs effets, notamment dans le contexte de leur extension. C'est la stabilité, la continuité de la politique de renforcement des connaissances et les formations des nouveaux professionnels de santé dans le domaine des soins primaires qui peuvent, à terme, produire des effets structurants sur les soins et services rendus et sur les parcours de santé en termes de qualité et d'efficience.
Propos recueillis par Anne Evans