Notre volonté d'enrichir la connaissance de la population atteinte par les troubles schizophréniques et ses prises en charge dans les établissements de santé français tient à de multiples raisons. La schizophrénie, de par la précocité et la complexité de ses manifestations, leur sévérité et une évolution souvent chronique, est une des dix maladies qui entrainent le plus d'invalidité selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Facteur très important de précarité et de désocialisation, elle a une incidence lourde puisque l'espérance de vie des personnes qui en sont atteintes est en moyenne réduite de dix ans par rapport à celle de la population générale. Cette pathologie touche en France 1 à 2 % de la population adulte, soit 400 000 personnes, ce qui est important. Et si les modes de prises en charge de ces patients sont variés – de l'hospitalisation à temps plein aux diverses prises en charge à temps partiel et au suivi ambulatoire – la gravité de leurs troubles en fait la première maladie en termes d'activité des établissements. Un quart des journées d'hospitalisation réalisé par les établissements de santé autorisés en psychiatrie l'est en effet pour des patients souffrant de troubles schizophréniques. C'est donc une maladie très lourde tant en termes de souffrance des individus qui en sont atteints et de leurs proches que de coût pour la société. Elle occupe d'ailleurs le premier rang des maladies mentales du point de vue de son coût, estimé à 1,1 % des dépenses nationales de santé (Charrier et al., 2013). Par ailleurs, la schizophrénie et les personnes concernées font l'objet d'une forte stigmatisation dans la société, créant un obstacle important à l'amélioration de la qualité de vie des personnes. Faire mieux connaître cette population et sa prise en charge contribue à réduire la stigmatisation associée, souvent basée sur une méconnaissance de la maladie.
Grâce aux données du Recueil d'informations médicalisées en psychiatrie (Rim-P), nous avons pu apporter, de façon nouvelle, un éclairage national sur la description de la population suivie en établissements de santé pour des troubles schizophréniques et sur la variabilité de leur prise en charge.
La maladie, comme le recours à l'hospitalisation, surviennent plus précocement chez les hommes que chez les femmes. La prise en charge des patients souffrant de troubles schizophréniques se caractérise par une plus forte intensité et diversité des soins, qu'ils soient ambulatoires ou hospitaliers, que celle observée pour les autres pathologies psychiatriques. Les patients mobilisent ainsi plus fréquemment l'ensemble des modalités de prise en charge à temps complet, temps partiel et ambulatoire, développées dans le cadre de la politique de désinstitutionalisation des soins psychiatriques. Malgré l'importance du recours ambulatoire pour ces patients, les hospitalisations sont plus fréquentes qu'en population générale et souvent relativement longues.
Bien que la part de ces patients soit similaire dans les établissements publics, privés, pluri ou mono disciplinaires, les prises en charge y sont différentes. Ces différences sont entre autres dues à la structure d'activité et aux missions de ces établissements, ainsi qu'aux caractéristiques des populations qu'ils accueillent. La grande majorité (83 %) des patients souffrant de troubles schizophréniques est prise en charge dans des établissements publics spécialisés et pluridisciplinaires contre 12 % des établissements privés d'intérêt collectif (Espic, 12 %) et 5 % des privés à but lucratif. Dans les établissements publics et Espic, respectivement 28 % et 25 % des journées d'hospitalisation sont attribuables à la prise en charge de la schizophrénie alors qu'elles ne sont que 12 % dans le secteur privé à but non lucratif. La durée des séjours est aussi très variable selon le type d'établissement : la Durée moyenne annuelle d'hospitalisation (DMAH) est inférieure dans les établissements publics pluridisciplinaires (75 jours) et dans les privés à but lucratif (78 jours) contre 85 jours dans les établissements publics spécialisés et 97 jours dans les Espic. Au sein de ces grandes catégories, on constate également une importante variabilité des durées de séjours avec une grande hétérogénéité dans le secteur public qui accueille les urgences et gestion de crises et, par ailleurs, les prises en charge au long cours. Dans le privé, au contraire, les durées de séjours sont plus homogènes sans doute en raison du caractère programmé et moins urgent des prises en charge. Les taux de réhospitalisation en psychiatrie varient également beaucoup et sont plus faibles dans les établissements à l'activité ambulatoire importante.
S'il est désormais acquis qu'une prise en charge adaptée permet d'obtenir une rémission durable chez un tiers des cas de personnes souffrant de troubles schizophréniques (Andreasen et al., 2005), il apparaît aussi que le pronostic de la schizophrénie dépend essentiellement de la qualité du soutien psychosocial, de l'accès aux soins et de l'adhésion aux adaptations des prises en charge. La disparité des prises en charge entre établissements de santé que nous avons montrée pose la question de l'équité des soins pour les personnes concernées. Elle se limite ici à la prise en charge en établissement mais interroge également sur l'évolution à plus long terme de la prise en charge et sur son articulation avec les soins de ville, le secteur médico-social et social.
Remission in Schizophrenia: Proposed Criteria and Rationale for Consensus.
Andreasen N.C., Carpenter W.T., Kane J.M. et al. (2005). American Journal of Psychiatry, 162, 441-9.
Le coût de la schizophrénie : revue de la littérature internationale.
Charrier C., Chevreul K., Durand-Zaleski I. (2013)., L'Encéphale, Volume 39, Supplement 1, Pages S49-S56.
Propos recueillis par Anne Evans