3 QUESTIONS À... : MARS 2015







1/ Quelle évolution des soins sous contrainte en psychiatrie constate-t-on après la mise en place de la loi du 5 juillet 2011 ?

Selon les données du Rim-P, avec 77 000 patients concernés en 2012, le nombre de personnes prises en charge sans leur consentement aurait augmenté en valeur absolue suite à la mise en place de la loi, mais pas en valeur relative puisque ces patients représentent comme en 2010 près de 5 % de la file active suivie en psychiatrie en établissement de santé. Les soins à la demande d'un tiers demeurent le principal mode de prise en charge sans consentement. Leur proportion relative tend à diminuer (de 80 % en 2010 à 73 % en 2012), du fait de l'introduction par la loi d'un nouveau mode légal de soins sans tiers « en cas de péril imminent » (SPI) qui a concerné 11 % des patients pris en charge sans consentement en 2012, soit 8 500 patients. Les soins sur décision d'un représentant de l'Etat (ex hospitalisations d'office) ont concerné 19 % des patients comme en 2010.
L'autre nouveauté majeure introduite par la loi et étudiée ici est l'extension des modalités de prise en charge sans consentement aux modalités autres que l'hospitalisation temps plein en psychiatrie, à travers les programmes de soins. Conclus entre le médecin et le patient, ils peuvent intégrer des soins ambulatoires ou à temps partiel, voire de l'hospitalisation séquentielle. Dans une certaine mesure, les programmes de soins clarifient et étendent la pratique des sorties d'essai en permettant de garder le patient sous contrainte en dehors de l'hôpital pour le réintégrer plus facilement. Ils permettent en outre de poursuivre les soins avec une mesure de contrainte qui devrait améliorer la compliance des patients, en dehors de l'hôpital. Enfin, en 2012, les prises en charge en hospitalisation temps plein sans consentement ont reculé par rapport à 2010. Davantage de patients pris en charge sans leur consentement ont eu accès à des modalités de soins alternatives à l'hospitalisation, notamment à travers des consultations avec un médecin ou un soignant au centre médico-psychologique et les durées moyennes d'hospitalisation ont baissé.

2/ Observe-t-on des disparités territoriales dans la mise en place des mesures permises par la loi ?

Pour les SPI comme pour les programmes de soins, les recours varient fortement sur le territoire. Ainsi, au niveau national, 11 % des patients admis sans leur consentement l'ont été en SPI en 2012, proportion qui est nulle dans sept départements mais dépasse 30 % dans d'autres. Les établissements de santé se sont ainsi emparés inégalement de cette nouveauté permise par la loi : sur les 270 établissements autorisés à accueillir des patients sans consentement, 182 ont admis des patients en SPI et un département comptabilise à lui seul 10 % de l'activité en SPI.
Il en est de même pour les programmes de soins. Au niveau national, 34 % des patients pris en charge sans leur consentement ont été intégrés dans un programme de soins combinant des prises en charge ambulatoires et à temps partiel. Toutefois, comme pour les SPI, le recours aux programmes de soins varie fortement selon les territoires. Alors que dans les départements de l'Ain, de la Manche, de la Mayenne, de la Meuse, de l'Oise et des Hautes-Pyrénées, 60 % des patients y ont eu accès, ils sont moins de 10 % dans les départements de l'Aude, de la Haute-Corse, de l'Eure, des Landes, de la Haute-Saône et de la Saône-et-Loire.

3/ Quelles sont les limites de votre étude pour analyser les effets de la réforme de 2011 ?

Nous avons mobilisé dans cette étude le Rim-P alimenté par l'ensemble des établissements de santé publics et privés autorisés en psychiatrie depuis 2007. Son recueil est relativement récent et son exhaustivité s'améliore année après année. Cependant, le Rim-P est une base médico-administrative, qui n'est pas destinée à la recherche ou à l'évaluation. Si nous y trouvons des informations sur les caractéristiques démographiques et cliniques des patients suivis et sur l'ensemble de leur prise en charge (à temps complet, partiel ou en ambulatoire, mode légal notamment), la notion de « programme de soins » y est absente. Nous avons dû l'approcher indirectement en considérant un patient en programme de soins à partir du moment où sont codés deux actes ambulatoires sans consentement ou une séquence hospitalière à temps partiel sans consentement. Malgré ses limites, cette méthode permet d'appréhender les programmes de soins, leur contenu et le type de patients qu'ils concernent. De même, les soins à la demande d'un tiers d'urgence ne peuvent être distingués dans le Rim-P. Le fait que le changement de mode légal n'entraîne qu'un changement de séquence et non l'ouverture d'un nouveau séjour rend également difficile l'analyse du parcours des patients et les calculs des taux de réadmission, par exemple. Par ailleurs, le Rim-P étant centré sur le sanitaire, l'intervention du juge des libertés et de la détention n'y est pas notée et ne peut donc être mesurée ici.
Pour compléter cette étude, il faudrait analyser des sources d'informations complémentaires, type rapports d'activité des commissions départementales de soins psychiatriques ou données produites par le ministère de la Justice sur l'activité des juges, et prolonger cette première approche par des recherches qualitatives visant à analyser plus précisément les pratiques concrètes des acteurs.

Propos recueillis par Anne Evans

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