En France, l'offre de soins ambulatoire est inégalement répartie sur le territoire : les médecins sont principalement concentrés dans les zones urbaines, les métropoles et le long du littoral. Il existe ainsi des déséquilibres entre régions et départements mais également au niveau infra-départemental, entre villes et campagnes et, au sein des villes, entre quartiers favorisés et défavorisés. Cette inégale répartition peut nécessiter un effort de déplacement important pour les patients les plus éloignés de l'offre et les moins mobiles et représenter alors une barrière potentielle à l'accès aux soins. Ce phénomène a pour l'instant été peu étudié en France au niveau local de l'offre de soins.
Nous étudions le fait de recourir au moins une fois aux soins ambulatoires en 2010 ainsi que les distances parcourues par les patients en tenant compte simultanément de leurs caractéristiques individuelles et de trois indicateurs reflétant le contexte local de l'offre de soins. Le premier, l'Accessibilité potentielle localisée (APL), permet d'appréhender la disponibilité de l'offre au niveau communal en confrontant l'offre existante dans la commune et celles environnantes aux besoins de soins de la population. Le second mesure la proximité à l'offre de soins à travers le temps d'accès au professionnel de santé de la spécialité consultée le plus proche. Le troisième décline les types d'espace selon le zonage en aires urbaines.
Toutes choses égales par ailleurs, une offre de soins éloignée a un effet dissuasif sur le fait de consulter un spécialiste, surtout au-delà de 30 minutes de trajet. Une offre de soins locale peu disponible et éloignée contraint les individus qui recourent aux soins à parcourir des distances plus élevées.
Le temps de trajet varie fortement selon l'APL, la distance au professionnel le plus proche et le type d'espace. La probabilité de recourir au généraliste ou au chirurgien-dentiste le plus proche est d'autant plus faible que l'offre est peu disponible (APL). Par ailleurs, les distances supplémentaires parcourues par les patients qui ne consultent pas le spécialiste le plus proche sont significativement plus élevées dès lors que le niveau de l'APL est inférieur au niveau le plus élevé (+17 minutes lorsque l'APL est la plus basse).
En revanche, les patients sont d'autant moins enclins à parcourir des distances supplémentaires que le temps d'accès au médecin le plus proche est élevé. Par exemple, pour les patients les plus éloignés du spécialiste le plus proche, les distances supplémentaires sont plus faibles de 28 minutes en moyenne par rapport à celles effectuées par ceux qui résident dans une commune où exerce un spécialiste. Ce résultat traduit l'existence d'un seuil de distance au-delà duquel les déplacements sont plus rares, ce qui limite le choix du professionnel de santé.
Ce travail pose la question des caractéristiques socio-économiques des patients qui résident où l'offre de soins est saturée et éloignée : les inégalités sociales de santé se cumulent-elles aux inégalités territoriales d'accès aux soins ? Il convient par ailleurs de s'interroger sur d'autres dimensions de l'offre de soins et de la mobilité des individus qui ne sont pas prises en considération dans cette étude, tels que les dépassements d'honoraires, les délais d'attente, la fréquence du recours aux soins, le lieu de travail, etc. Les questions introduites dans l'Enquête santé et protection sociale (ESPS) 2012, notamment sur les critères de choix des patients, permettront d'enrichir cette analyse.
Propos recueillis par Anne Evans