3 QUESTIONS À...


Zeynep Or

3 questions à... Zeynep Or à l'occasion de la parution du Questions d'économie de la santé n° 226 intitulé : « Variations des pratiques chirurgicales dans la prise en charge des cancers du sein en France », rédigé avec Virginie Mobillion, Mariama Touré, Chafika Mazouni et Julia Bonastre.

Mai 2017

1/ Que signifie l'expression « variation des pratiques » ? Pourquoi avoir choisi d'étudier la chirurgie des cancers du sein ?

La variation des pratiques désigne le fait que des patients dont les caractéristiques sont comparables peuvent être soignés très différemment selon le médecin ou l'établissement qui les prend en charge, selon leur lieu d'habitation et/ou leur statut socio-économique. Ce phénomène de variations des pratiques a été observé dans la littérature sur la prise en charge des cancers du sein, lesquels, rappelons-le, se situent au premier rang des cancers incidents chez la femme (31 % en France métropolitaine).

Etudier ce phénomène dans le cadre de la prise en charge chirurgicale des cancers du sein se justifie d'autant plus qu'il existe plusieurs options de traitement chirurgical pour les femmes qui doivent se faire opérer. Trois options sont étudiées ici : la chirurgie conservatrice, la technique du ganglion sentinelle, et la reconstruction mammaire immédiate après une mastectomie totale. Nous avons choisi de comparer l'évolution entre 2005 et 2012 de ces prises en charge, moins invasives que d'autres, afin de dresser un état des lieux avant et après la mise en place de la T2A (Tarification à l'activité) et l'introduction des seuils d'activité minimale en cancérologie. La littérature a montré que si la prévention et les traitements de ces cancers se sont améliorés au fil du temps, des variations de traitement des patientes ayant des pathologies similaires ont été observées. Or, il est important d'identifier et d'analyser ces variations afin de pouvoir agir pour homogénéiser les pratiques et améliorer la qualité globale de la prise en charge.

2/ Comment mesurez-vous ces variations, à la fois territoriales et entre établissements ?

Pour comparer la variation des pratiques à l'échelle nationale, nous avons mesuré les taux de pratique de ces trois interventions dans différents types d'établissements et selon le lieu d'habitation des patientes, par départements. Le recours à ces interventions chirurgicales peut être influencé par divers facteurs comme l'état de santé, les préférences des patientes et des praticiens, mais aussi la disponibilité et l'organisation des plateaux techniques, et les habitudes médicales locales.

Pour établir les déterminants du recours à ces interventions, nous avons conduit une modélisation multiniveau en contrôlant les caractéristiques observables des patientes et des établissements.

3/ Que retenir de ces résultats ?

Notre analyse montre que les pratiques chirurgicales dans la prise en charge des cancers du sein ont connu des évolutions majeures entre 2005 et 2012 : la tumorectomie est devenue le traitement de référence, avec un taux de recours dépassant 70 % dans la plupart des établissements en 2012, et la technique du ganglion sentinelle s'est diffusée partout puisque le nombre de patientes concernées a triplé sur la période. Par contre, la reconstruction mammaire immédiate après une mastectomie totale reste peu fréquente, même si on a constaté une augmentation du recours à cette technique entre 2005 et 2012.

Notre analyse met aussi en évidence l'existence d'inégalités territoriales dans le traitement chirurgical des cancers du sein. Les disparités territoriales en termes de pratiques suggèrent que la probabilité de bénéficier de ces traitements varie en fonction du lieu de résidence des patientes.

Par ailleurs, une partie de ces variations semble être liée aux variations des pratiques entre établissements : toutes choses égales par ailleurs, la probabilité de bénéficier de la technique du ganglion sentinelle ou d'une reconstruction mammaire immédiate est plus élevée dans les Centres de lutte contre le cancer (CLCC), dans les Centres hospitaliers régionaux (CHR) et dans les établissements ayant un volume d'activité élevé.

Propos recueillis par Anna Marek