3 questions à... Julien Mousquès à l'occasion de la parution du Questions d'économie de la santé n° 239 intitulé : « Des organisations et des pratiques coopératives diverses entre médecins généralistes et infirmières dans le dispositif Asalée : une typologie des binômes », co-réalisé avec Anissa Afrite (Irdes) et Carine Franc (Cesp, Inserm UMR 1018, Irdes)
Février 2019
Le dispositif d'expérimentation Asalée a pour objectif d'améliorer la qualité de prise en charge des patients atteints de maladies chroniques et de sauvegarder du temps médical grâce à l'éducation thérapeutique des patients et à une délégation d'actes des médecins vers les infirmières.
Nous avons conçu et mis en œuvre un programme de recherche évaluative reposant sur une méthode mixte associant des démarches qualitatives et quantitatives.
Une première étude sociologique de Cécile Fournier et co-auteurs s'est intéressée au déploiement et à l'organisation du dispositif Asalée, aux pratiques et interactions entre patients et professionnels. Elle a mis en évidence l'hétérogénéité tant du contexte préexistant que de l'organisation et des pratiques mises en place et le caractère innovant du dispositif. Pour la compléter, nous avons réalisé une analyse quantitative exploratoire à partir d'une enquête déclarative auprès des médecins et infirmières inscrits dans le dispositif à la mi-2015, soit 1 065 binômes.
Nous avons apparié cette enquête à des données d'activité émanant de l'association Asalée. La typologie publiée aujourd'hui en est issue. Le contexte d'implantation géographique des cabinets au sein desquels est expérimenté Asalée a pour sa part été étudié à partir d'une typologie socio-sanitaire des territoires de vie réalisée avec mon collègue Guillaume Chevillard et publiée récemment (Chevillard et Mousquès, 2019).
Le premier facteur distinctif de notre typologie est l'intensité de l'activité Asalée en termes d'éducation thérapeutique et de réalisation d'actes dérogatoires des médecins vers les infirmières. Parmi les autres dimensions les plus influentes ressortent : l'ancienneté des binômes ; le temps d'activité des infirmières comme les modes d'exercices et le contexte de mise en œuvre - taille et composition du ou des cabinets, local d'exercice dédié… ; la nature et l'intensité de la coordination et des échanges entre généralistes et infirmières ; leur perception des apports du dispositif.
Trois classes sont ainsi identifiées. La classe 1 (38 % des effectifs), rassemblant des binômes en phase de maturité, avec l'activité Asalée la plus intense, et qui expriment la plus grande satisfaction à l'égard du dispositif. Elle se caractérise par l'ancienneté la plus importante au sein d'Asalée, des infirmières à plein temps, qui focalisent leur activité sur l'éducation thérapeutique et les actes dérogatoires et exercent dans un seul cabinet. Les classes 2 (44 % des effectifs) et 3 (18 %), avec peu d'ancienneté dans le dispositif, sont pour la première en phase de croissance et pour la seconde de construction. Comparativement à la classe 3, dans la classe 2, la mise en œuvre de la délégation des tâches et de l'éducation thérapeutique est plus forte, la satisfaction plus grande et l'organisation du travail plus propice : par exemple, les généralistes travaillent avec une seule infirmière, le temps de chaque infirmière est plus important et elles bénéficient d'un local dédié, de l'appui du secrétariat.
La mise en œuvre de la coopération et de la délégation de tâches entre médecins et infirmières prend du temps ! Mais dès lors qu'elle bénéficie de conditions favorables à son émergence, la coopération est au rendez-vous et les professionnels en perçoivent plus positivement les apports en termes de qualité des prises en charge des patients. Ainsi, des leviers d'action existent pour développer davantage la coopération : réfléchir à des critères de recrutement des médecins et accompagner leur montée en compétence pour garantir un engagement plus fort dans le dispositif, améliorer les conditions d'exercice des infirmières et faciliter les échanges entre ces professionnels. Au-delà d'Asalée, des enseignements peuvent être tirés sur les conditions de réussite de la mise en œuvre des futures infirmières de pratique avancée et sur le rôle qui peut être joué par une organisation intermédiaire entre Etat, Assurance maladie et professionnels de santé à l'instar de l'Association Asalée.
Ces résultats, instructifs, possèdent les limites inhérentes à l'analyse statique d'un processus en évolution dont la phase de forte croissance a eu lieu entre 2013 et 2014. Les informations recueillies mi-2015 auprès des médecins et infirmières participant à Asalée depuis au moins six mois manquent de recul. Pour autant, ils seront affinés par des études et publications à venir sur l'activité des médecins, la qualité du suivi des patients diabétiques, les recours et dépenses des patients.
Propos recueillis par Anne Evans