3 QUESTIONS À...


1/ Pourquoi cette recherche est-elle originale en France ?

Les suppressions d'emploi, qui se sont intensifiées en France notamment après l'éclatement de la crise financière et économique de 2007-2008, touchent un nombre important de salariés. Ces suppressions d'emploi seront très probablement amenées, à l'avenir, à s'étendre à un panel de plus en plus large de secteur d'activités et de catégories de salariés - non qualifiés et qualifiés -, sous l'effet des innovations technologiques. Un grand nombre de travaux issus de la littérature internationale mettent en évidence l'impact négatif des suppressions d'emploi sur le devenir des salariés licenciés et leur parcours professionnel. Cette question reste toutefois encore trop peu étudiée dans le cas français, tout comme l'influence des licenciements sur les salariés restant dans l'établissement après les licenciements. Notre recherche met en exergue des effets significatifs des licenciements collectifs sur la santé mentale des salariés restant dans l'établissement après une vague de licenciements, dans le contexte français. Elle offre également une perspective nouvelle concernant les effets des suppressions d'emploi sur la santé mentale, dans la mesure où elle s'appuie sur la consommation de médicaments ayant fait l'objet d'une prescription médicale, repérée à partir des données d'assurance maladie, en tant qu'indicateur de santé mentale.

2/ Quels en sont les principaux résultats ?

Nos résultats indiquent une forte augmentation de la consommation de médicaments psychotropes des salariés restant en entreprise et ayant été exposés à des licenciements collectifs mis en œuvre par l'entreprise : parmi ces salariés, le taux de consommation de psychotropes augmente de 41 % à la suite des licenciements par rapport à la période qui les précède. Les résultats mettent, par ailleurs, en évidence un gradient social selon lequel les salariés appartenant aux groupes socio-économiques les moins favorisés sont davantage affectés par des troubles de santé mentale les conduisant à consommer des médicaments psychotropes, et ce, dans un contexte de licenciements collectifs, par comparaison aux populations socio-économiquement plus favorisées.

3/ Quelles recommandations peut-on en tirer en termes de politiques publiques ?

Nos résultats montrent que, pour les salariés, le vécu d'un plan de licenciements collectifs dans l'établissement qui les emploie est un événement provoquant une forte anxiété qui débouche sur des consommations de médicaments psychotropes prescrits par leur médecin. En termes de politique de l'emploi, cette recherche souligne la nécessité de mettre en place des mesures fortes qui visent à accompagner les salariés exposés à des licenciements collectifs, y compris lorsqu'ils conservent leur emploi, et un suivi psychologique, notamment en ciblant les populations de salariés appartenant aux groupes socio-économiques les moins favorisés. Ces mesures doivent également permettre de prévenir les effets négatifs des licenciements sur la santé et ainsi éviter autant que faire se peut les consommations de médicaments psychotropes car ces consommations comportent des effets non désirables importants, tels qu'un risque d'addiction et de difficultés cognitives accrues, en particulier à long terme.

Propos recueillis par Anne Evans