3 questions à... Noémie Morize, Isabelle Bourgeois et Cécile Fournier à l'occasion de la parution du Questions d'économie de la santé n° 261 intitulé : « Renouveler l'action publique en santé : un article (51) pour expérimenter avec les organisations de santé ».
Septembre 2021
Ces deux expérimentations sont mises en place dans le cadre du dispositif de l'article 51. Ce dernier, instauré en 2018, vise à mettre en place des expérimentations de financements dérogatoires au droit commun dans l'intention d'améliorer la qualité et l'efficience des soins. Les deux expérimentations qui nous intéressent, Peps et Ipep, proposent des rémunérations alternatives au paiement à l'acte pour les professionnel.le.s de soins primaires, qui sont, en France, majoritairement libéraux, dans un secteur d'exercice peu structuré. C'est également un moyen de décentrer les politiques et les financements du secteur hospitalier, dans l'optique d'un « virage ambulatoire ». Les deux expérimentations proposent des modèles économiques différents. D'un côté, Peps permet, dans des centres ou des maisons de santé, de remplacer la rémunération à l'acte des médecins et des infirmier.ière.s de l'équipe par une rémunération collective au forfait afin d'accroître la coordination entre ces deux professions. Ipep, de son côté, incite des professionnel.le.s des secteurs hospitalier et de la ville à travailler ensemble, au travers d'une rémunération incitative non substitutive, basée sur des indicateurs de qualité et d'évolution de l'efficience. Les deux modèles économiques sont appliqués depuis janvier 2021 : il est encore tôt pour constater les évolutions au sein des organisations de santé expérimentatrices, et ce sera l'objet de la suite de notre enquête.
Dans un premier temps de l'enquête, nous nous sommes intéressées au travail des acteurs institutionnels, au niveau national et régional, du côté de l'Etat et de celui de l'Assurance maladie. En l'analysant sous l'angle de la sociologie de l'action publique, nous voulions éclairer des transformations en cours dans le système de santé. Cela nous permettra par la suite également de mieux saisir comment ces expérimentations sont mises en œuvre localement. Dans cette première partie d'enquête, nous constatons que les expérimentations font d'abord évoluer les institutions qui les imaginent et les mettent en place : cela entraîne un dialogue accru entre l'Etat et l'Assurance maladie, qui doivent s'articuler nationalement et régionalement dans une démarche partenariale. Par ailleurs, les institutions nationales ont fait le choix d'impliquer des professionnel.le.s de santé pour négocier les cahiers des charges qui définissent les modalités de calcul des modèles économiques. Cette démarche aboutit à des évolutions dans les relations entre les professionnel.le.s, les membres du ministère en charge de la santé et de la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam). Ces nouvelles méthodes de travail suscitent bien sûr des apprentissages de la part des professionnels expérimentateurs, mais aussi au sein des institutions, au niveau national pour concevoir les expérimentations, et au niveau régional pour accompagner leur mise en œuvre.
Dans cette nouvelle façon de travailler, les acteurs institutionnels sont confrontés à divers enjeux. Ainsi, au national comme au régional, les équipes connaissent d'importants mouvements de personnel, qui remettent en jeu les processus d'apprentissage antérieurs. Par ailleurs, les niveaux nationaux et régionaux sont confrontés à des enjeux propres. Au niveau national, les relations entre professionnel.le.s de santé et membres du ministère et de la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam) entraînent des rapports de force, les expérimentations faisant l'objet de négociations. L'enjeu est alors de réussir à embarquer les professionnel.le.s de santé tout en leur faisant accepter le cadre des expérimentations. Au niveau régional, les expérimentations viennent bousculer les différents cadres institutionnels, demandant aux acteurs d'être souples et de travailler de manière transversale avec les différents services tout en se structurant pour piloter l'ensemble des expérimentations issues de l'article 51. De plus, le rôle de l'échelon régional est en tension entre les attendus des institutions nationales, qui le perçoivent comme le niveau de proximité avec les professionnels de santé, et la réalité locale, où l'échelon régional représente un niveau intermédiaire coordonnant l'action de plusieurs délégations départementales et territoriales, sans lien direct avec les professionnel.le.s de santé.