3 QUESTIONS À...


1/ Comment avez-vous identifié les différents profils de personnes handicapées ou dépendantes qui constituent la population de votre étude ?

Nous distinguons deux populations, les personnes handicapées reconnues inaptes au travail et les personnes ayant besoin d'aide pour réaliser les activités de la vie quotidienne. Ces deux profils correspondent aux deux principaux motifs de compensation financière existant en France spécifiques aux personnes en situation de handicap. L'Allocation aux adultes handicapés (AAH), la pension d'invalidité et la rente d'incapacité sont les trois principales allocations permettant de compenser une incapacité à travailler par le versement de revenus de substitution. Ces allocations peuvent par ailleurs permettre aux bénéficiaires d'une pension d'invalidité et d'une rente d'incapacité de bénéficier d'un remboursement à 100 % de leurs frais de santé dans la limite de la dépense remboursable, ce qui n'est pas le cas pour les bénéficiaires de l'AAH. Ces disparités de prise en charge financière des soins de santé nous ont poussés à analyser spécifiquement ces populations, leurs dépenses de santé et les restes à charge qu'elles supportent. Ces populations sont faciles à identifier car elles bénéficient d'une reconnaissance administrative qu'elles ont déclarée dans l'enquête Handicap-Santé Ménages (HSM), utilisée pour notre étude.
La seconde partie de notre étude porte sur les personnes ayant besoin d'aide pour réaliser les activités de la vie quotidienne (« se laver », « s'habiller », « faire les courses », « le ménage », …). Ces populations sont susceptibles de faire face à des dépenses de santé importantes. Les allocations existantes permettant de financer l'aide humaine nécessaire pour réaliser les activités de la vie quotidienne ne permettent pas d'étendre la couverture sanitaire, qui ne peut donc être améliorée que par le biais d'autres dispositifs non spécifiques (Affection de longue durée (ALD) notamment). L'objectif de cette seconde partie est de questionner la capacité du système de protection sociale à limiter les restes à charge sanitaires de cette population. Nous observons donc l'évolution des dépenses de santé et des restes à charge liés aux soins en fonction du niveau de besoin d'aide humaine. Pour ce faire, nous avons réalisé une classification qui regroupe les personnes enquêtées dans des catégories homogènes de recours à l'aide humaine en quatre classes. La première regroupe des individus qui ont un faible recours à l'aide humaine, ciblé sur une seule activité instrumentale de la vie quotidienne, tandis que la dernière classe comprend une population qui recourt à l'aide pour les activités de la vie domestique et courante ainsi que pour les soins personnels. Nous distinguons également dans nos analyses cette population en fonction de l'âge afin d'observer s'il y a des différences dans le niveau et les profils de consommation de soins avant et après 60 ans.

2/ Quels sont les principaux résultats de l'analyse en niveau et en structure de dépenses de santé que vous avez menée ?

On observe une forte variabilité des niveaux de dépenses et des profils de consommations de soins en fonction des allocations perçues pour inaptitude au travail qui semble refléter la forte hétérogénéité des profils de handicap. Les restes à charge des bénéficiaire de l'AAH ne sont pas différents de ceux observés en population générale (autour de 500 euros annuels en moyenne) ou dans les autres types de reconnaissance de handicap. Toutefois, compte tenu de leurs revenus plus modestes, les restes à charge rapportés aux revenus représentent un poids financier plus lourd pour les bénéficiaires de l'AAH. Leur taux d'effort est supérieur de 65 % à celui observé en population générale, alors même que des postes de dépenses comme l'optique et les prothèses dentaires apparaissent plus faibles.
Nous montrons également que le système de protection sociale limite les restes à charge liés aux soins des personnes qui recourent à l'aide humaine principalement grâce aux exonérations du ticket modérateur, et notamment à l'ALD. En effet, malgré des dépenses de santé qui augmentent proportionnellement avec le niveau d'aide humaine (de 5 000 euros par an pour les personnes qui ont un faible recours à l'aide humaine à 17 000 euros en moyenne pour les personnes qui recourent à l'aide pour toutes les activités de la vie quotidienne), les restes à charge restent constants, à un niveau moyen de 800 euros annuels. Malgré ce lissage, des restes à charge élevés persistent pour des personnes recourant à l'aide humaine avec des consommations de soins spécifiques telles que les orthèses et prothèses ou les hospitalisations en Médecine, chirurgie ou en psychiatrie, ce qui questionne sur leur prise en charge par l'assurance maladie complémentaire. Si le niveau de dépense de santé des personnes ayant recours à l'aide humaine est relativement proche avant et après 60 ans, les restes à charge des personnes âgées de 60 ans et plus sont toujours plus élevés, ce qui s'explique par des profils de consommation de soins et des types d'exonération différents.

3/ Comment approfondir encore ces résultats ?

La poursuite des travaux de recherche sur ces questions va se faire selon deux axes. Pour les personnes qui perçoivent des allocations pour inaptitude au travail, nous allons approfondir notre connaissance des bénéficiaires de l'AAH en étudiant finement leurs dépenses et restes à charge selon qu'ils bénéficient ou non d'une exonération du ticket modérateur (ALD, Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), ACS, pas d'exonération). Ce travail permettra de juger de la portée de la préconisation du rapport Denormandie et Cornu-Pauchet (2018) qui recommande d'aligner la prise en charge des bénéficiaires de l'AAH sur celle des bénéficiaires de pensions d'invalidité, soit un remboursement à 100 % de la dépense remboursable pour les bénéficiaires. Ce travail, qui est en cours, est réalisé à partir de la base des données individuelles des bénéficiaires de l'Assurance maladie (DCIR) de 2016. Mais c'est seulement lorsque les données de l'assurance maladie obligatoire seront appariées avec les données de l'assurance maladie complémentaire dans le SNDS que nous pourrons avoir une juste appréciation des restes à charge finaux et objectiver les éventuelles difficultés d'accès aux soins.
S'agissant des personnes qui recourent à l'aide humaine, les dépenses de santé ne constituent qu'une composante des dépenses auxquelles elles sont confrontées. Nous envisageons donc d'évaluer le reste à charge complet des personnes âgées dépendantes, en distinguant sa composante sanitaire de sa composante médico-sociale ainsi que leur taux d'effort global associé à la situation de dépendance. Les données mobilisées pour ce projet de recherche sont celles de l'enquête Capacités, Aides et Ressources des seniors (CARE) . Le calcul de ce coût complet agrégeant les dépenses sanitaires et médico-sociales sera également possible pour les bénéficiaires de la Prestation de compensation du handicap (PCH) à partir des données de l'enquête Prestation de compensation du handicap : exécution dans la durée et reste à charge (Phèdre).

Propos recueillis par Anne Evans